je vais faire un petit tour

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samedi, février 24, 2007

Merci anpil

C'était un vendredi. Celui des cendres exactement. Un détail qui a son importance. L'orphelinat est une institution catholique… La veille avait été un peu arrosée sur GCV. Des amis Hollandais et des nouveaux arrivants français, Morgane et Greg, sont venus boire un petit coup à bord avec leurs bouteilles, la cave de GCV étant vide. Morgane et Greg apportaient des colis pour l'orphelinat depuis la Martinique. Ils ont été chargés presqu'avant les présentations à bord. Le lendemain, je prenais la route maritime vers Madame Bernard…

C'était donc un vendredi. La journée a commencé nuageuse mais avec un joli lever de soleil à l'est annonciateur d'un bel après-midi. Morgane et Greg ont décidé d'être du voyage. Pas pour visiter l'orphelinat mais pour partager une journée avec nous sur le bateau. Nous ? Une partie des enfants de l'orphelinat (ceux entre 7 et 15 ans), Michel, Stevenson, un des infirmiers qui apprend les massages que je fais aux handicapés, Lifen, mon marin préféré, et ma pomme. GCV était mouillé devant le petit quai de Madame Bernard. La chaloupe de l'orphelinat était prête. Captain Jean la bichonne. Une vingtaine de personnes attendaient d'embarquer dans la navette pour Les Cayes. Le village commençait calmement une nouvelle journée. De loin, on voyait la chaloupe s'emplir peu à peu des enfants. La silhouette inoubliable de Michel fit son apparition près de la plage d'embarquement. On allait recevoir nos passagers d'une journée. Je vous rassure, ils ne payaient pas le prix pratiqué à l'hôtel Port Morgan. La journée allaient coûter seulement des grands sourires pour toutes la journée. Ce n'est pas quantifiable en monnaie, mais c'est certainement plus cher qu'une sortie en day charter. En tous cas pour moi.

Et le sourire, ils l'eurent dès que les vingt enfants ont embarqué à bord. Un sourire franc. Un sourire qui venait du fond de leur être. Un sourire grand comme ça. Ils se sont tous réunis gentiment autour du trampoline, regardant l'horizon avec envie. Mais où allions-nous ? Je ne le savais pas. Je leur ai demandé. « l'îlet aux amoureux ! » ont-ils répondu en cœur comme d'un commun accord. Une journée sous le signe de l'amour donc. L'amour d'un petit blanc pour des mômes très attachants. L'amour d'enfant pour tout ce qui peut les faire sortir de leur quotidien, de ce qui leur manque depuis qu'ils sont tout petit.

Je craignais un peu leur peur de l'élément, de la navigation bien que ce ne devait être que quelques milles abrités par la grande barrière de corail plus à l'est. J'ai vite été rassuré. Ils ont adopté le bateau comme celui-ci les a adopté. Le cockpit, le rouf, le trampoline, tout a été vite apprivoisé, chacun trouvant la place qui lui convenait au mieux.

Une petite heure au moteur, occupé à visiter l'intérieur du bateau sous le guidage de Michel, et le petit banc de sable découvrant est apparu devant nous. Lifen me conseillait sur la meilleure route à prendre pour atteindre en toute sécurité notre but. On fit une approche douce, tranquille pour mieux appréhender l'endroit que je découvrais. Le banc de sable ne s'étendait pas trop alentour. Nous allions pouvoir jeter l'ancre vraiment très près. Les plus grands auront pieds. Les plus petits rejoindront l'îlot en annexe. Tout notre équipage débarque en quelques minutes tel un ras de marée pour submerger la surface lisse de l'îlot qui va vite se transformer en un champ labouré…

Nous nous mettons à l'eau à notre tour pour jouer au ballon, au freesby, accompagné celles et ceux qui hésitent encore à se lancer pour nager, faire des châteaux ou des bonhommes de sable. Ça rigole dans tous les sens. Ça s'arrose. Ça plonge. Ça fait attention aux plus petits. Ça pleure un petit peu quelque fois à cause d'une petite peur vite disparue. Même Lifen, d'habitude réservé et attentionné par le bateau, se prend au jeu en rigolant avec certains enfants.

Au bout d'une grosse heure et demi de jeux en tout genre, la faim rassemble dans un seul mouvement le bel équipage autour du cockpit. Distribution des assiettes de riz et de fève dans le calme, la rigolade avec les blagues de Michel et un minimum d'ordre. Les grands sont tout étonnés de ne pas être servis en premier. Ils ont du mal à comprendre que l'on commence par les petites filles pour finir par eux. Par des blagues, ils essayent de perturber la distribution dans leur intérêt mais sans résultat.

La digestion et le repos du corps après le repas est courte pour eux. Le banc de sable se fait de nouveau envahir dans un grand éclat de rire. Les petites préfèrent une petite sieste tendre près de Morgane, Michel ou moi. Contrairement à mon habitude, j'ai un œil vigilant sur l'horloge du bord. Nous sommes vendredi des Cendres et mon équipage ne peut rater, ni arriver en retard à la messe que le Père Esnaud donnera à 16h. Sœur Flora a été très claire et ferme là-dessus. Il y a des choses qui sont intangibles.

Rappel général. Rassemblement rapide et sans problème. Il y a bien quelques propositions pour aller ailleurs, à la Cayes à l'Eau, à la Baie des Flamands… ç'eut été avec plaisirs. Mais, il nous faut rentrer aux risques d'essuyer les foudres de Flora. Je vous aurai bien emmené au bout du monde les mômes, avec un grand plaisir. Et puis, il y aura d'autres fois, c'est promis.

Les ancres sont levées. On met le cap symboliquement vers l'église blanche et verte du Père Esnaud sous génois seul, tranquillement. Chacun prend la barre du bateau qui fait de grand zig zag. C'est plus rigolo de tourner la roue dans tous les sens que d'aller droit. Arrivé à la côte, Captain Jean n'est pas encore rentré de Canobert avec vos copains. On change de cap pour aller à leur rencontre. « Bonjou', bonjou', Comment ça va ? » La chaloupe et le catamaran font route parallèle pendant quelques minutes. Khadja Nin chante « i'm sailing » de Rod Stewart. Le soleil nous offre de jolis rayons dorés. La petite Agathe a besoin d'un gros câlin. Elle m'accompagne à la barre, agrippée à mon cou. Le petit quai de Madame Bernard est juste là. L'ancre s'accroche au fond herbeux et sablonneux. La chaloupe arrive. Mes jeunes passagers embarquent un peu précipitamment. De grands saluts avec des grands sourires s'agitent sur le long bateau. Merci les enfants. C'était une très belle journée. On recommencera.

La chaloupe revient. On charge les cartons dedans pour les entreposer dans le petit hangar près du quai.

On lève l'ancre. Tout est calme. Génois déroulé, GCV fait route tranquillement le long de la côte. Seule la voix langoureuse qui émane du CD que j'aime tant accompagne le silence que l'on apprécie. Oui, c'est encore une très bonne journée. Merci. Merci anpil de m'avoir permis de la vivre.

A tout à l'heure

mardi, février 20, 2007

Canobert

C'était un mardi. J'avais beaucoup dormi et me levait après le soleil. La journée de lundi s'était bien achevé par un beau coucher de soleil apprécié avec quelques enfants depuis la « citadelle », un morne sans aucune construction mais point culminant de l'île. Les cocotiers, les grands manguiers, les marias avec de très beaux oiseaux blanc, la grande plage de la Hatte, le Cap Diamant, le morne protégeant Cacoq, la grande mangrove au nord est de l'île. Et puis, le soleil radieux qui dépliait ses grands bras lumineux entre les nuages d'alizés. Une grande respiration avant de retrouver l'univers un peu cloîtré de l'orphelinat.

Je me levais donc avec le sourire, comme souvent, à l'intérieur comme à l'extérieur. J'ai décidé d'accompagner Michel aux bains des enfants handicapés à Canobert, histoire de vivre de l'intérieur ce programme dont mon barbu préféré me parle avec passion depuis plus d'un mois.

Départ vers neuf heures de l'orphelinat. Les enfants qui ne marchent pas sont descendus au canot en brancard, deux par brancard, trois allers, six enfants. Avec Michel, Francienne et Josette, on accompagne à pieds, Sébastien, autiste et épileptique dont j'ai déjà parlé, Roseline, qui présente quelques retards psychologique et de petits handicap physique mais une grande joie de vivre, Rosemonde, plus calme et un peu moins souriante, plus soucieuse dirait-on, et Ti Jacques, autistes aussi – il peut se refermer très profondément ou venir jouer avec les autres enfants avec plein de joie et d'entrain.

L'alizé est plutôt fort ce matin. Le long canot étroit surfe quelques peu sur le clapot. Captain Jean à la barre maîtrise… Le temps d'admirer la côte et le chemine que j'empreinte à présent deux fois par semaine et nous arrivons à l'ajoupa, l'abri sans mur en bord de plage. Pour beaucoup, l'endroit semblerait paradisiaque, comme pour Fat puis Jean-Pierre, deux québécois qui se sont installé ici il y a respectivement 25 et 13 ans. Mais, comme Myriam qui a quitté le lieu cette année après avoir tenté d'ouvrir une école, type Steiner, un atelier de couture communautaire et autres, ils sont un peu désabusés de la situation ici, de l'engrenage d'assistanat pratiquement sans issu dans lequel est plongé l'île et certainement le pays. Dans toutes les discussions, même les plus enthousiaste sur des projets, arrivent le moment où se pose la question des hommes et de leur véritable motivation. Mais j'y reviendrai plus tard certainement.

Qu'importe, pour le moment, aujourd'hui, je veux me rendre compte, découvrir le bien fondé - dont je ne doute pas au fond de moi - de la démarche de Michel. Les enfants sont allongés ou assis sur des tapis de mousse sur le sol de l'ajoupa, d'autres sont dans des hamacs en tissus, tous à l'abri du vent grâce à une grande bâche tendue. Sébastien, Roseline et Ti Jacques jouent en dehors, dans le sable, chacun de son côté. Le temps de chercher tout le matériel, de s'installer et de se rendre compte que le déjeuner ne sera que du riz et des haricots, sans sauce, ni poisson, faute de budget suffisant (les prix ont étonnement augmenté ces dernières années) pour Brédinor, le voisin qui sert de « plate forme technique » au programme, nous commençons à emmener les enfants sur la plage, pieds dans l'eau, le corps calé dans des fauteuils château de sable. Chez certain, on sent un petit stress qui disparaît vite mais la plupart ont le sourire depuis l'embarquement dans le canot. Ils respirent un air beaucoup plus pur. Ils sentent sur leur peau les grains de sable, le frais et la douceur de la mer, les herbes qui chatouillent. Ils retrouvent un milieu qu'ils n'auraient jamais voulu quitter dans le ventre de leur mère…

On laisse chacun s'habituer, apprécier et on les prend chacun pour les emmener « nager ». Allongé dans des flotteurs en demi cercle en mousse et filet, pour les plus grands, dans les bras des accompagnateurs pour les plus petits, chacun profite allègrement. Les corps se détendent. Les sourires sont sur les visages. Quelques fois un fou rire quand une vague arrose par surprise un visage. Les peaux sont nettoyées. Les sinus se débouchent.

Sébastien est plus qu'à son aise. Allongé dans sa bouée, il se laisse dériver au fil de l'eau, le visage détendu, en pleine méditation. C'est préférable aux crises qu'il passe à se taper la tête sur ses genoux voire sur les murs… Le bain dure une demi heure, parfois plus lorsque le temps est plus clément. Les enfants sont sortis de l'eau, séchés dans de grands peignoirs. Allongés sur leur matelas, assis sur le sable ou bercé dans les hamacs, ils disfrutent de ces instant qui doivent être proche de leur bonheur, en tout cas, ils sont loin du tohu bohut normal de l'orphelinat. Le repas arrive. Chacun se fait nourrir à la cuillère puis tombe dans un état de léthargie digestive.

Nous en profitons avec Michel pour nous échapper chez jean Pierre puis chez Fat avec qui nous échangeons de l'orphelinat, de la situation de l'île et du programme de jardin communautaire de Fat qui s'acharne encore malgré de multiples échecs venus à chaque fois lors de ces retours à Montréal. Tout cela avec le sourire évidemment. Comme dit Michel, ici,il faut avoir beaucoup d'humour. Il m'avait tellement parlé de ces personnages hauts en couleur que j'ai l'impression d'être avec de vieilles connaissances…

Nos retrouvons nos protégés sous l'ajoupa pour le deuxième bain de la journée. L'entrain des accompagnateurs est un peu amoindris mais ils ne faillissent pas dans leur mission. Est-ce la présence de celui qui a lancé et qui finance l'opération ? ou bien est-ce le bruit de plus en plus fort que Flora veut mettre un terme à ces expéditions quadrihebdomadaires donc la fin de leur contrat avec l'orphelinat ? Un peu de tout ça…

La fin du deuxième bain  montre une détente encore plus profonde, peut-être pour mettre à profit encore plus cette journée et se l'accaparer plus encore. Je perturbe un peu leur cocon par quelques massages d'ouverture. Les membres sont moins raides. Les réactions moins craintives d'une quelconque douleur. Séchage, rangement, embarquement, route contre le vent et les embruns, débarquement, remonter à l'orphelinat alors que le soleil est encore haut.

Alors que Flora est en plein rangement, je profite d'une petite pause où elle m'adresse la parole pour partager mon enthousiasme pour les bains   à Canobert et leurs bienfaits évident. Elle écoute mais me reparle de sa piscine avec une idée plus précise. J'insiste encore sur les problèmes sanitaires et techniques d'une telle installation. Fin de discussion. On passe à autre chose.

L'installation du magnétoscope sur la télé pour que les enfants ne regardent plus ces séries télés débilisantes, puis préparation de l'anniversaire d'Etienne, 14 ans, pour qui un gros gâteau a été préparé. Après les chants sous les étoiles, la petite douche dessalante et la satisfaction devant l'attention des enfants devant le dessin animé loin du brouhaha habituel à cette heure là, nous nous mettons à table. Michel parle   de ne réserver la descente des brancards qu'au personnel qu'il finance. Flora abonde dans son sens. Je comprends qu'ils se sont parlés avant sur le sujet. Ce qui bloquait de plus en plus, ne bloque plus. Les bains ne gênent plus la maîtresse des lieux puisqu'elle peut se séparer du personnel qui n'est pas motivé ou adapté à sa tache. La tension entre le deux compagnons d'infortune de longue date n'existe plus ce soir. Canobert serait-il sauvé ?

Le gros gâteau arrive sur la table avec quatorze bougies dessus. Etienne est un peu ému par la présence de tous les pensionnaires de l'orphelinat qui chantent pour lui. Il est des journées souvent plus belles que d'autres…

A tout à l'heure
 
PS : Pour ceux qui croient que je vais rentrer dans les ordres, pas de problème, ce que je pense des religions en général tient toujours aujourd'hui... De même que j'ai eu des propositions de dons divers. Pour l'instant, c'est un peu prématuré a mon sens. Mais, ne vous inquiétez pas, j'y penserai lorsque je verrai des ouvertures constructives pour l'avenir de l'île ou de l'orphelinat.

dimanche, février 11, 2007

Dans l'orphelinat...

C'était un mercredi. Celui du « grand saut ». Je n'allais plus faire des visites de quelques heures mais m'installer à l'orphelinat, prendre possession de la chambre qui m'était attribué, commencer des travaux que je ne connaissais pas. J'eu quelque mal à me mettre en route trouvant toujours quelque chose à faire avant de me mettre sur le chemin. Après un bon repas et une courte mais efficace sieste, sac sur le dos, je me mettais en route. Le chemin, je le connaissais : Trou Milieu et ses mornes, Soulette et ses grands « bâtiments pays », Canobert et son atmosphère tout' douce, Grands Sables et ses habitants souriants et enfin Madame Bernard, lieu du marché du lundi et du jeudi et fief des congrégations catholiques ainsi que de l'orphelinat Saint François.

En marchant, je croise de nombreuses personnes, habitantes ou passante. « Bonjou', comen ça va ? » « papimal, i vou ? » « papimal, ad pitar ». Le chemin me paraît plus court que la première fois. L'habitude certainement. J'arrive enfin à l'orphelinat en sueur évidemment. Je vais voir Michel tout de suite. Il m'accueille chaleureusement, m'ouvre ma chambre, m'explique moult petits détails puis me laisse m'installer. La chambre fait un peu moins de 10 m2. Les mûrs, peints en blanc, sont un peu décrépis. Le plafond commence à montrer des points de faiblesse,. Le sol est en béton lissé. En plus de la porte, deux ouvertures avec des volets pivotants permettent   de profiter un petit peu de la lumière du jour. Un lit simple et un bureau aménage le lieu. Un coup de balais, je secoue le matelas, installe le drap, la moustiquaire que me prête Michel et un fil de fer qui me servira à étendre mes affaires.

Michel me propose de faire le grand tour de l'orphelinat. A mon passage précédent, je n'avais pas tout vu particulièrement dans le fond du terrain après le manguier. D'abord des latrines condamnées car pleines mais qui servent toujours? A côté, des douches et la machine à laver que Michel à fait venir, un ancien pédalo auxquels les pédaliers ont été connectés avec un gros tambour. Le pavillon qui était l'antenne de l'ONG Terre des Hommes sert aujourd'hui un peu pour tout. Le fond du terrain en pente qui va être cultivé. Aux extrémités hautes et basses les grands murs, du fait d'un défaut de conception, ont cédé lors du dernier cyclone, laissant deux ouvertures béantes pour accéder à l'orphelinat et ses trésors. Les habitants du village viennent puiser de l'eau au puits déjà à peine suffisant à l'orphelinat. De nombreux matériels divers disparaissent aussi régulièrement. S?ur Flora n'a pas les finances pour réparer?

Plus haut et en revenant vers le bâtiment principal, un atelier d'ébénisterie tenu par des anciens pensionnaires de l'orphelinat. Sur le terrain, des cochons paissent tranquillement mais laissent aussi leurs déjections à l'air libre. Les enfants se promènent en toute liberté par ici? Nous retournons vers l'entrée pour découvrir l'atelier de couture en face de la pharmacie et du laboratoire et un espèce de foyer où logent des adultes, anciens pensionnaires de l'orphelinat ou autres. S?ur Flora accueille facilement?

Le soleil s'apprête à se coucher. C'est l'heure de la douche. Michel, ingénieux, a remplacé le classique seau par un réservoir avec une vanne qui permet de se doucher avec les deux mains libres et de consommer un peu moins d'eau. On va voir les enfants qui mangent. Je salue S?ur Flora qui me souhaite la bienvenue puis Michel emmène quatre handicapés chanter sous la voûte étoilée. Je le suis avec quelques petits qui chantent avec bonheur. Les autres enfants sont devant la télé à regarder une série quelconque et sans grand intérêt. On passe au repas. Je demande à quoi je pourrais être utile pendant mon séjour. Rien de bien précis pour l'instant si ce n'est la bibliothèque à ranger et une petite plaquette de présentation de l'orphelinat et une carte pour remercier les généreux donateurs. Je masserai aussi les handicapés ainsi que les plus jeunes pensionnaires.

Sébastien, un autiste qui se tape la tête quand il est en crise, s'énerve. Michel le prend pour l'emmener dehors sous les étoiles et essayer de le calmer. Il m'appelle à la rescousse pour l'aider. Je ne sais quoi faire sinon une manipulation de réflexologie sur les pieds. Rapidement, sous notre effet complémentaire, le grand enfant se calme et sourit calmement. La cloche sonne, les enfants vont se coucher. La petite Evelyne, qui m'a adopté dès mon deuxième passage, pleure dans un coin. Je la prend dans mes bras et vais la mener calmement jusqu'à son lit. Il est 8h30. Nous regagnons nos pénates avec Michel. Petite discussion devant les cocotiers. Michel me parle du projet de Soeur Flora de mettre fin à son programme de bain pour les handicapés qu'il a mis en place il y a huit ans à cause du coût trop important mobilisant du personnel et parce que des canadiens lui ont proposé une piscine qu'elle installerait dans l'orphelinat. Il est dépité. J'essaye tant bien que mal de le rassurer et de bien s'occuper de ce programme tant qu'il existe encore. Nous nous souhaitons la bonne nuit. Avant de m'endormir, je prends conscience de l'ampleur des problèmes de l'orphelinat.

Réveil à 6h30. Chi Kong. Puis je rejoins Michel qui est déjà aux petits soins avec ses protégés à qui il donne un jus de fruit. Les enfants scolarisés prennent leur petit déjeuner en uniforme. Les plus petits attendent. Nous aussi. Au menu, une bouillie de céréale avec du pain. Du café pour les adultes? Le régime, quelque soit le repas, est composé de féculent cuit (Manioc, Riz, patates douces ou pomme de terre. Pas ou peu de légumes crus. Rarement des fruits.

Après le petit déjeuner, je m'attelle à ma mission : tri et nouveau rangement des livres avec une nouvelle étagère. A l'ancien classement, se sont rajoutés de nombreux tas très divers. Je classe, je range, je tri. Il y a presque de tout mais principalement des livres d'école, de médecine, religieux ou pour enfants. Le bas de la grande étagère est habité par quelques araignées et blattes. Je fais quelques pauses en parlant avec le comptable qui travaille sur le bureau attenant. Je vois l'heure du repas arrivé avec bonheur. Michel est partie aux Cayes pour diverses affaires et je mange seul avec S?ur Flora que je questionne sur la situation en Haïti qui s'avère de moins en moins brillante. Mais j'y reviendrai plus tard. Petite sieste indispensable et je retrouve mes livres qui auront trouvé tous une place en fin d'après-midi.

Après ma douche, je rejoins les enfants avec qui je joue un peu, que j'aide à rédiger des lettres à leur parrain ou marraine. Nous dînons avec S?ur Flora qui m'entretien de son projet de piscine, de son personnel immobilisé. Je lui parle des problèmes sanitaires que pourrait poser une piscine dans ce lieu mais qu'il pourrait y avoir aussi quelques intérêts. Nous changeons de sujet pour passer à l'orphelinat, aux difficultés financières et d'infrastructure. Je retourne dans ma chambre pour passer une bonne nuit avec un peu de lecture avant. Je suis épuisé et les yeux ne tardent pas à se fermer.

Le lendemain, je range une chambre du pavillon des volontaires pour accueillir l'assistant du médecin qui vient de s'installer dans le dispensaire de Madame Bernard. C'est le seul médecin de l'île qui l'attend depuis de nombreuses années. Je refais un passage dans la bibliothèque pour quelques menues finitions et je passe aux massages des handicapés. Ganté de caoutchouc, je déplie doucement les petits membres recroquevillés pour les ouvrir et faire circuler ce qui est bloqué depuis des années. La plupart des handicapés de l'orphelinat sont porteurs de déficiences physiques sévères accompagnées la plupart du temps de déficiences sensorielles et intellectuelles. Ces massages, que Jean-Luc m'a appris s'ils sont souvent douloureux à l'instant les mettent dans un état de bien-être ensuite qu'il est bon de regarder. Les visages sont sereins, les mains un peu plus ouvertes, les yeux apaisés. Ce n'est pas forcément facile comme intervention, principalement dans la tête, mais quand on voit le résultat, on sait qu'il faut continuer. Je continuerai donc pendant toute la durée de mon séjour ici.

J'ai terminé ma matinée en aidant à ranger la pharmacie parce qu'un contrôleur des services de santé venait faire une visite. Les cartons venu de France ou du Canada s'amoncelait dans le local. Il était temps de faire quelque chose. Je pense qu'une nouvelle étagère viendra compléter les rangements sous peu? Un travail en plus. Je crois que les occupations de toutes sortes ne vont pas manquer. Ça tombe bien, ça manque de cinéma ici?

A tout à l'heure

 

PS : La Taïga Family est partie ce matin vers les Jardins de la Reine, un collier d'îles au sud de Cuba. J'avoue que j'aurai levé l'ancre pour faire route avec eux. Mais il y a quelque chose au fond de moi qui me dit de rester ici. Je ne sais pas si j'y suis utile mais je crois que je n'y suis pas inutile. On va se revoir bientôt. Des relations comme ça, des liens comme ça, on ne peut pas les couper. A tout à l'heure Gaïa, Tahis, Magali et Jean-Luc. Profitez bien de votre voyage qui ressemble à celui que je souhaiterais faire un jour. Merci pour tout ce que vous m'avez apporté.

mercredi, février 07, 2007

L'orphelinat

L'orphelinat

C'était un mercredi. Nous allions à Madame Bernard à la fois pour mener le matériel que nous apportions avec Michel, pour que Jean-Luc aille voir le juge pour l'histoire du puits et pour chercher la pompe qui a servi ce même puits. Si je n'étais pas du voyage chez le juge, qui ne me concernait finalement que peu, je fus de celui de l'orphelinat où je dois passer tout de même la majorité de mon temps. L'endroit se situe à quelques 300 mètres de l'embarcadère sur les hauteurs. Sac à dos plein, cartons dans les mains, nous traversons d'abord une zone qui doit être marécageuse pendant la saison des pluies, un joli nid à moustiques. Puis on a attaqué la « rue ». Enfin la rue, un chemin cahoteux où l'eau doit raviner au moindre grain...

L'Ecole des Frères de Montfort à gauche, quelques maisons à droite, et puis le « domaine » de S?ur Flora : l'école sur la gauche, l'orphelinat Saint François à droite. Un portail entouré d'un mur de deux mètres, une première cour avec le lieu de consultation, la pharmacie et le laboratoire sur la gauche. Un autre mur mais sans porte celui-là, à gauche le lieu de vie des enfants avec dans le prolongement, une nouvelle bâtisse dont la construction est arrêtée faute de moyens, à droite les communs avec la cuisine et une petite maison qui abrite le générateur. On s'engage entre les deux pour aller vers le pavillon des volontaires, vide actuellement, à quelques mètres dans le bas du terrain. Près de celui-ci, non loin du puits et du grand manguier, un feu avec des femmes autour qui prépare le repas de midi. L'accès est fermé par une grille et abrite aussi l'atelier, royaume de Michel. C'est aussi là qu'il dort avec sa moustiquaire parce que l'endroit est bien aéré.

On dépose le matériel. On découvre. Du monde partout. Un terrain terreux et rocailleux peu entretenu et sale de sacs plastique. Michel, qui reprend une nouvel vigueur ? l'endroit lui est familier depuis treize ans ?, nous fait visiter les lieux et nous fait rentrer dans le sein des seins : le lieu de vie. Un escalier et une rampe d'accès pour les chaises roulantes, un petit porche, un patio abrité par un toit en tôle ondulée et entouré des chambres d'enfants, des sanitaires, d'une deuxième cuisine, de la chambre de S?ur Flora et du bureau bibliothèque.

Au milieu des tables et des chaises pour enfants Dans un coin, deux grands matelas bleu de gymnastique sur lesquels repose des polyhandicapés, petits corps maigres et recroquevillés sur eux-mêmes. A côté, des chaises roulantes avec assis dedans d'autres enfants un peu plus valides. Et puis, autour, égaillés dans le patio à jouer, assis à ne rien faire, peut-être à rêver ou à dormir à même le sol, des enfants de deux à cinq ans. D'autres, plus grands, passent et repassent. Les quelques personnes encadrantes, dont deux infirmiers, oeuvrent tranquillement.

Je m'attendais, grâce aux descriptions de Michel, à un spectacle dur. Il n'atteint pas le dixième de la réalité. Il n'y a pas de mots, je crois, pour définir ce je voie, ce qui se passe en moi. Comment cela peut exister ? Ça existe, tout simplement?

Michel nous présente, nous explique calmement, nous raconte chacun des enfants handicapés, sa raison d'être ici. J'avoue que je n'ai qu'une envie : sortir de ce lieu. Il va pourtant bien falloir s'habituer. J'ai décidé de lui donner de mon temps et de mon énergie. Mais, plus tard. Encore une fois, il faut digérer. Je retrouve « la rue » avec soulagement, l'intérieur complètement renversé, noué.

C'était un lundi, quelques jours plus tard. Magali et Jean-Luc, kiné et ostéopathe, doivent faire des interventions sur les enfants et me montrer quelques manipulations pour les apaiser, les détendre. Une heure et demi de marche depuis Cacoq. On rencontre sur la route Julien, jeune Français en voyage en Haïti avec son Leica autour du cou. Il a déjà pris des photos à la Cité Soleil, le grand bidonville de Port au Prince, véritable poudrière de révolte contre la pauvreté où les forces de l'ONU, appelée « forces d'occupation » par une partie de la population, essayent de faire régner l'ordre. Il s'est ensuite déplacé vers le sud-ouest du pays jusqu'à l'île à Vache. Il est arrivé à Soulette la veille où le puits a été vidé. Je lui propose de venir faire des photos à l'orphelinat puis à Canober pour le bain bihebdomadaire des polyhandicapés. Il nous raconte sa découverte du pays. On partage le voyage en bateau qu'il se verrait bien entreprendre un jour.

C'est jour de marché à Madame Bernard. Presque toute l'île est ici pour acheter quelques légumes et fruits, de l'épicerie, du pain, du riz?. Enfin ce que l'on peut avec les quelques Gourdes (la monnaie haïtienne) que l'on a en poche.

S?ur Flora est revenu de son séjour à Port au Prince et aux Cayes pour des histoires d'élections (elles ont eu lieu il y a deux mois et demi et les résultats n'ont toujours pas été promulgués?) notamment. Elle accepte le témoignage argentique de Julien. Je lui parle d'une éventuelle et possible exposition à organiser plus tard en France et pourquoi pas au Québec, sa terre natale. On retrouve Michel qui joue à l'assistante sociale dans sa chambre bureau. Il n'arrête pas mais à l'air heureux derrière sa barbe.

On va voir les enfants. Le choc est évidemment moins fort. On finit par s'habituer à tout finalement, même au pire. Jean-Luc, qui n'avait pas fait parti du premier voyage, est effaré par les conditions de vie et d'hygiène, par l'état des polyhandicapés. On se sent plus admis. On donne ce que l'on peut. On sourit. On joue avec quelques enfants. Je suis adopté par trois petits, une petite fille, Evelyne, qui prendra son compte d'affection au moins pour la journée, accrochée à mon cou, me serrant très fort et me faisant câlin sur câlin, et deux petits gars qui, voyant que la place est prise dans mes bras, s'accroche à mon bermuda. Mon grand chapeau de paille les amuse.

Distribution de fruits écrasés pour les enfants handicapés donnés par tous sauf moi, mains et jambes prises par mes trois agréables petites sangsues. Il y a des sourires, des rires, des disputes pour en avoir plus. On descend ensuite ces enfants sous le manguier pour casser la monotonie de leur cadre. On se rend compte que l'état sanitaire des enfants est affolant. Jean-Luc me montre quelques manipulations pour « ouvrir » leur renfermement. On voit sur les visages de l'apaisement, un peu de souffrance aussi, les membres n'ont plus l'habitude?

Repas des petits que l'on va chercher un peu partout dans le terrain. Puis, nous mangeons dans le réfectoire avec s?ur Flora. Elle nous raconte l'orphelinat, le pays, les élections, la corruption partout. Calmement, sans jugement de rien. Haïti est le pays le plus corrompu au monde. Les trafics de Cocaïne venant de Colombie remplit les poches des officiels jusqu'au plus haut placé. Le pays est aux abois car sans plus aucun espoir.

Les enfants revenus de l'école en face font leur leçon dans le patio. Les plus petits sont à la sieste. Les handicapés profitent sous le manguier. Ils vont bientôt rentrer pour les soins. Certains enfants jouent avec Gaïa. Je me suis habitué au lieu et à ses pensionnaires. Je sais que je peux y apporter un petit quelque chose.

On reprend le chemin de Cacoq. Julien est tout retourné mais il viendra quand même à Canober le lendemain prendre les bains. Sur le retour, on a besoin de rire. On raconte n'importe quoi pour se faire du bien. Le dîner sera encore plus rigolard. On a besoin de lâcher, de dédramatiser ce que l'on a vécu, de reprendre notre vie pour mieux donner à la leur?

A tout à l'heure

PS : José en prison, vous y croyez vous ? ou comment faire campagne depuis sa cellule. ça va être dur pour les meetings. Je veux dire pour faire rentrer tout le monde dans la cellule...

dimanche, février 04, 2007

T?en veux encore un peu ?

C'était un jeudi. Il faisait beau comme d'habitude ici. Nous étions invités à manger chez Vilna et Doudou. Echange de bon procédé, c'est nous (ou plutôt Magali?)qui avions préparé à manger. Des lasagnes. Des goûts nouveaux? Une petite demi-heure de marche à pieds entre les mornes et nous arrivons devant la petite maison (3 pièces pour un couple et trois grands enfants qui dorment dans le même lit) entouré d'un grand terrain où poussent bananiers, manguiers, cocotiers, ?

Accueil souriant. Embrassades. Les chaises sont sorties pour nous sur le petit perron abrité. Les enfants du coin arrivent pour pouvoir jouer avec Tahis et Gaïa. On discute. Je donne le linge du bateau à laver. Je remontre à Jean Wiltord, le frère de Vilna, comment se servir de son nouvel appareil photo qu'il a trouvé je ne sais où. En échange, je lui demande de collecter toutes les piles usagées qui traînent dans le village et chez les voisins. On boit. On parle. On rigole. Ça change de l'ambiance du puits. On est bien chez vous?

Arrive l'heure de manger. Magali sort le grand plat. Vilna commence à nous servir. On leur dit « vous d'abord ». Elle sert ses enfants, Doudou, son frère, sa mère, deux voisins qui sont là, et puis les enfants des voisins. Chacun se délecte. Chacun dévore. Devant le spectacle, on décide chacun de notre côté de ne pas manger. « C'est bon, allez-y, manger. Nous on a des réserves? »

Le spectacle, s'il s'agit vraiment d'un spectacle ? peut-être celui de leur vie que l'on croise, finalement ?, est vraiment saisissant. Ce n'est pas de l'appétit, c'est de la faim. La vraie, celle qui vient du tréfonds des tripes. Celle qui dit que l'on manque de tout. Celle qui dit que l'on nous a oublié. Mon petit creux passe facilement. On peut bien jeûner un petit peu. Dans le plat, il ne reste plus rien. Doudou et sa fille aînée ont tout raclé.

Le sourire est sur tous les visages. Chacun est repu. Digestion. Discussion. Sourire. Rigolade. Doudou nous propose une noix de coco. On l'accepte avec joie. Le lait de coco, sa chair, c'est bon, c'est nourrissant. On parle de tout, surtout des difficultés de leur vie. Le prix de l'école. La chape de béton qui se fend dans la chambre conjugale. Les chaussures qui viennent de lâcher. Du travail qu'il n'y a pas. De la pluie qui ne vient pas. Des dents qui fond mal. Du dentiste qui coûtent cher, très cher.

On se quitte en fin d'après-midi, juste avant qu'il soit trop tard pour parcourir le chemin avant la nuit. Nous sommes souriant d'une belle journée passée mais aussi atterrer par ce que l'on a vu. Je crois que l'image de ce repas ne nous quittera pas de sitôt. Pourtant, Vilna et Doudou sont, je crois des privilégiés. Ils ont reçu de la vie la volonté de s'en sortir, d'aller vers les autres pour s'en sortir, de ne pas laisser le terrain sans cultures, une réflexion que d'autres n'ont pas.

Le surlendemain, je fais mon premier day-charter avec Grand Citron Vert. Un couple de Québécois qui habite aux Cayes. Lui travaille dans le micro crédit accompagné (aide à la gestion, aide aux choix,?). Il a travaillé auparavant en Afrique et en Arménie. Ils sont charmants. Après deux long bords vent de travers, on mouille sous le vent d'une petite île habitée par des pêcheurs. Repas cossu. Il reste suffisamment pour nous nourrir, Lifen, Jakson, les deux Haïtiens que j'ai embauché pour ces sorties, et moi. Séjour à la plage de mes « clients ». Je débarrasse. Du riz, de la viande, reste dans les assiettes? Je jette avec dégoût. Un pêcheur passe pour demander à manger. Je lui donne le reste de riz. Largement pour quatre adultes. Je suis songeur. Asi es la vida?

A tout à l'heure

jeudi, février 01, 2007

De l'absurde trop compréhensible...

C'était un dimanche. Ensoleillé, tout doux, prometteur. Nous, avec la Taïga family rencontrée à Curaçao, avons loué des chevaux pour une balade à la découverte de la partie orientale de l'île. Doudou et Vilma nous accompagnaient ainsi que quelques mômes souriant. Jean-Luc était à pied du fait de son aversion pour le voyage à cheval. Michel est parti retrouver seul l'île et tous ceux qu'il connaît ici avec pour objectif d'aller jusqu'à l'orphelinat où il donne de lui depuis treize ans.

Petit chemin sur les mornes boisés, la belle plage de l'anse Dufour où nous nous étions baignés à l'arrivée, des manguiers majestueux et rassérénant, la mangrove pourvoyeuse de charbon, la grande plage après la pointe Diamant où je me suis retrouvé seul avec mon cheval pour mieux me dire que la vie était merveilleuse, un petit village de pêcheur, un pique nique partagé avec tout le monde plus une petite famille qui s'est joint à nous à l'ombre rafraîchissante d'un manguier, l'ascension du plus haut morne de l'île avec une vue superbe sur les plages où nous étions quelques heures plus tôt, et puis le puits?

Magali me dit que ce serait une bonne idée de faire boire les chevaux au filet d'eau qui s'écoule avec les eaux quelque peu souillés par la lessive. Accueil mitigé. Jean-Luc, innocemment, s'approche du puits pour se passer un petit coup d'eau. Il fait ça au-dessus du puits. A partir de là, on ne comprend plus. Il y a des discussions. Doudou et Vilma répondent avec véhémence aux attaques. Avec les chevaux, nous partons sans se rendre compte de l'ampleur du problème. En haut d'une côte, on attend nos trois marcheurs qui tardent et qui finissent par arriver le regard sombre. Jean-Luc avec son air jovial m'explique le soucis : « Les lessiveuses estime que j'ai souillé le puits et qu'elles ne peuvent plus s'en servir, qu'il est pollué? Qu'il faut payer? »

A partir de là, tout devient folie. La nouvelle se propage comme une traînée de poudre grâce à deux gamins qui nous précèdent. A chaque passage devant des maisons, ce sont invectives et injures en créole. Doudou et Vilma se font traiter de tous les noms, se défende. Les échanges sont violents. Nous passons silencieux pour ne pas envenimer une situation que l'on sent de plus en plus explosive. Au village de pêcheur de Soulette, ça devient de la folie. Tout le monde s'en mêle. Dans les bouches, Jean-Luc s'est lavé les cheveux et à cracher dans l'eau du puits. La petite famille choisit de s'écarter vite de cette folie pour préserver les filles, Tahis et Gaïa. Je reste en retrait près d'une maison de pêcheur pour attendre Doudou et Vilma qui défendent comme ils peuvent ce qui est devenu indéfendable. « Le blanc à souiller le puits, il doit payer. »

Une femme sort de la maison près de laquelle j'attends un peu inquiet pour nos deux compagnons Haïtien. « Bonjour, ça va bien ? » « Bonjour, papi mal et vous ? » « Papi mal » Et puis le môme annonciateur de la nouvelle lui explique la situation à sa manière. Changement de ton. La haine sort du plus profond des entrailles de la femme. J'étais un ami de passage, je deviens un ennemi, la cause de tous ses ennuis, de sa misère. Elle invective mais pas directement. Sa colère, elle ne l'a pas contre moi personnellement mais contre le mauvais sort qui a fait d'elle, une femme de pêcheur pauvre sur l'île à Vache. J'essaye de parler, calmement, que ce qui s'est passé là-haut n'est pas grave et ne peut avoir aucune conséquence sur la viabilité de l'eau du puits. Elle s'en va, me tournant le dos, vers la foule qui s'acharne sur Vilma qui répond coup pour coup aux accusations et aux injures. Doudou est assis sur un tronc, la tête dans les mains. Il ne comprend pas la réaction de ses frères. Cette jalousie contre eux parce qu'il sont avec des blancs et qu'il risque de toucher des Dollars.

Vilma lâche prise et reprend chemin. J'essaye de la calmer, de consoler Doudou. Qu'y a-t-il à calmer, à consoler d'une douleur qui date de plusieurs siècles ?

On revient aux bateaux un peu groggy. Nous non plus, nous ne comprenons pas ce qui s'est passé. Michel revient de son tour avec un grand sourire. Il est évidemment au courant de la situation. Partout, on l'a arrêté, on lui a expliqué. Il a écouté, essayé d'arranger. Le soir au dîner, il décide d'aller voir les « sages », directeur d'école, avocat, personnalité villageoise qui ont une ascendance sur les habitants. Les habitants veulent que le puits soit vidé. Nous essayons de trouver une solution moins absurde dans cette île où l'eau est rare. Nous avons chacun du Micropure à bord, produit qui permet que l'eau des réservoirs soit consommable. En en versant dans le puits, on peut purifier l'eau? Le lendemain soir, le problème semble arranger. Maître William, directeur d'école, grand pédagogue, doit expliquer la puissance du produit et verser lui-même cérémonieusement le produit dans le puits.

Persuadés que ce mauvais film n'est plus que passé, nous partons pour Les Cayes, la petite ville sur la grande terre avec Michel qui doit nous montrer tous les endroits stratégiques de la cité. Au retour, nous tombons des nues. Doudou est en prison. La police est passé cherché Jean-Luc sur Taïga. Ne s'y trouvant pas, le juge a mis Doudou, bouc émissaire dans ses geôles. La population ne veut qu'une solution : vider le puits. Vilma s'accroche à nous ne sachant que faire. Jakson, homme sage de Cacoq, qui va travailler avec sur le bateau, connaît le juge et l'appelle pour lui expliquer la situation vue de notre côté. Le magistrat décide de libérer Doudou mais convoque Jean-Luc le lendemain à dix heures chez lui dans le village de Madame Bernard où se situe l'orphelinat, les écoles catholiques et la paroisse du Père Esnaud.

Nous profitons de cette convocation pour acheminer tout le matériel pour l'orphelinat, avec GCV.

L'entretien avec le juge se passe bien mais la décision est prise : il faut vider le puits souillé? Maître William ne comprend pas la réaction des habitants de Soulette et laisse coulé quelques larmes. Le Père Esnaud après avoir refusé que son matériel serve pour un acte aussi absurde, nous prête sa pompe et son équipe pour que nous ne soyons pas dans l'embarras. GCV sert de barge de transport. Nous sommes tous d'accord pour estimer que tout cela est totalement absurde mais qu'il faut s'y résigner. L'affaire est réglée en trois heures. Les 96000 litres du puits sont égaillés dans la nature? « A en chialer », me dira Jean-Luc à son retour. Je suis resté sur le bateau pour le garder et pour ne pas voir le désastre.

Tout cela se termine par une grande cocotte de pâte à bord avec l'équipe du père Esnaud, Doudou, son beau-frère Jean Wilford, Michel, la Taïga Family et ma pomme. On rigole de la situation avec amertume mais on en rigole. Michel nous affirme qu'ici, il faut avoir beaucoup d'humour. Avec des trucs comme ça, j'ai du mal. Je vais beaucoup apprendre ici?

L'été dernier, une ONG est venue pour forer des puits partout dans l'île. Ils ont demandé à la population de participer pour construire les structures en dur avec du sable puisé dans la mer. Les Haïtiens ont répondu qu'ils voulaient bien mais qu'il fallait payer? L'ONG est partie après avoir rebouché les puits. Le Père Esnaud nous explique que la situation s'empire, que tout le monde est dans l'attente des Dollars des blancs? On peut en penser ce qu'on veut, du mal, du bien, expliquer la situation. Reste que le résultat est là : la limite d'un système où l'on n'a pas essayé de comprendre, d'aider sans donner en espèce sonnante, sans écouter les demandes. La faillite d'un système ici comme ailleurs où les moins bien lotis payent avant les autres?

On rentrera à Cacoq sous génois seul, dans le calme. Doudou est à la barre. Il est fier et attentif aux casiers. Le soleil nous offre une superbe lumière rasante et dorée. Elle est pas belle la vie ?

A tout à l'heure

 

PS : J'ai découvert l'orphelinat de s?ur Flora. Je vous en parlerai plus tard. Ça a été un choc. Avant de vous livrer tout cela, je préfère y passer plus de temps et digérer?