je vais faire un petit tour

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vendredi, juillet 28, 2006

Retrouvailles...

Cela faisait plus d'un an qu'on n'avait pas eu un contact vraiment direct. Un dialogue intime s'entend. On s'est juste croisé rapidement en août, à l'île de Ré puis à La Rochelle, le temps des derniers "à tout à l'heure". Mais, comme souvent avec les très proches, on essaye de faire ça sans dire les choses, parce qu'il est des mots au moment d'une séparation qui la rende encore plus lourde à supporter. Et puis, le croisement des regards souvent en dit plus long. Alors, on s'était dit "salut, à tout' ", un peu rapidement, avec un sourire complice en sachant qu'on se retrouverait quelque part autour de la terre, que la complicité de plusieurs années, les soins apportés, échangés, reprendraient.

C'est vrai qu'il y a eu des moments d'intense partage, de superbes instants que l'on ne peut oublié, où, en plus de la complicité, les éléments s'en mêlent pour que ce soit encore plus beau. Je ne les énumèrerai pas tous mais je me souviens notamment d'un après-midi passé ensemble entre Normandie et Bretagne. Bertrand Cantat récitait son long poème "Nous n'avons fait que fuir" mis en musique par ses complices de Noir Désir pour une seule et unique fois en public. Le ciel, les éléments se liaient à ce poème pour donner l'ambiance : ciel gris plein de contrastes, vent fort, quelques rayons de soleil furtif entre les nuages. Tout glissait autour de nous. Tout s'était lié pour que l'instant soit inoubliable. Il le fut. Une osmose totale avec l'environnement. J'y repense toujours avec un peu d'émotion. Je pense que l'on est deux ainsi...

Des moments comme celui-ci, il y en a eu beaucoup, souvent partagés avec d'autres amis. Il y en eu d'autres moins pleins mais tout aussi intenses. Des heures à s'occuper l'un de l'autre, à panser les plaies du passé, à préparer l'avenir, juste à entretenir le présent pour ne pas oublier qu'on est là l'un pour l'autre. Cette relation forte, ponctuée d'éloignements réparateurs pour prendre l'air et faire le point de temps à autres, a duré trois ans, avant la grande séparation. On a alors fait chacun notre chemin sur des routes parallèles et dans la même direction. J'ai même eu une petite histoire de quelques mois avec une vieille connaissance. Mais, on a évidemment fini par se recroiser. C'était évident. Inéluctable.

Cela s'est passé ici, au Venezuela, sur l'île de Margarita où nous sommes encore aujourd'hui. C'était une fin d'après midi. J'arrivai à l'instant du sud. Son arrivée remontait à quelques jours et de l'ouest. Le moment aurait pu être très chaleureux mais, aller savoir pourquoi, nous sommes restés un peu en retrait l'un et l'autre. En ce qui me concerne, j'avais envie de me poser après ces mois à gambader de villes en villages au gré du hasard. Je me disais qu'on se retrouverait quand l'esprit serait reposé. J'ai découvert alors un trait de caractère dont je ne me souvenais pas, je n'en avais, je crois, pas connaissance. Dès que l'on s'est retrouvé seuls, il y a eu une première crise un peu défiante, genre "je casse ça exprès et les yeux dans les yeux". Limite scène de ménage. Je n'ai pas compris. J'ai réparé sans rien dire. Sans questions. Puis le lendemain, ça a recommencé. J'ai réagit pareil. Je ne comprenais pas. J'avais l'impression que l'on était alors redevenu deux étrangers. Après un an de séparation, on ne sait jamais ce qui peut se passer. Souvent, on imagine les retrouvailles. On les idéalise souvent beaucoup trop. Alors, comme la réalité ne ressemble jamais à ce que l'on fantasme et à ce que l'on attend de trop, on est déçu. Souvent, jusqu'à en souffrir. Quel dommage !

J'ai cru à cela au début. Et à une possible vengeance bête à cause de ma froideur non calculé aux premiers instants des retrouvailles. Et puis les jours sont passés, l'un après l'autre, avec son petit acte presque mesquin. Au début, j'essayai de faire au mieux. Et puis la pression du trop bien faire m'a fait évidemment faire des erreurs, faire mal. J'ai eu peur qu'il fut trop tard. Alors, la dernière solution était de ne plus faire attention. L'indifférence peut parfois être bénéfique...

Et puis, finalement, ça s'est décoincé une nuit. Je pense que l'on souffrait trop chacun de notre côté. D'un seul coup, j'ai ressenti ce sentiment de plénitude qui m'avait quitté. C'était sous la lune. Il y avait quelques étoiles. La brise était douce et rafraîchissante. Les éléments étaient calmes. J'ai respiré un grand coup. Je me suis imprégné de l'instant. Je sentais que j'étais accompagné dans ce moment. Nous étions deux. De nouveaux, ensemble. Enfin ! C'était bon. J'ai bu les minutes qui passaient en appréciant au mieux, l'une après l'autre.

Depuis cette nuit là, tout est presque redevenu comme avant. Une petite crise rare quand mon attention était trop accaparée par une autre personne. Une autre personne, qui ne sait pas, peut faire involontairement, beaucoup de mal. Mais je revenais toujours, plus ou moins rapidement, mais toujours. Pour expliquer. Pour prendre soin. Pour donner. Ma liberté devenait alors plus grande. Avec le dialogue, tout va souvent mieux et chacun retrouve ses marques.

Alors est revenu le moment où nous sommes redevenus complices. Une vraie complicité, qui vient du coeur. On s'est posé. On s'est regardé. On a parlé. De tout, vraiment tout. Pour ne rien laisser dans un coin qui pourrait ressurgir après. On a mis des priorités. J'ai passé du temps. Je me suis laissé envahir pour que tout redevienne vraiment chouette. Il y a du boulot mais on va y arriver. Il fallait réparer tous les dégâts de cette incompréhension des dernières semaines. Je me suis presque retrouvé un an auparavant, quand on faisait au mieux pour guérir les maux du passé. C'est incroyable comment quelquefois on recréer des conditions pénibles - parce que, dans ces conditions, quelqu'un s'est occupé de soi - pour que, de nouveau, l'on s'occupe de soi.

Mais on va bientôt retrouver cette liberté qui a fait notre bonheur commun. Cavalcader sous le ciel étoilé. Glisser sur la houle régulière. Disfruter dans des eaux turquoise. Chauffer oisivement au soleil. Se rincer des eaux des grains. Se laisser caresser par une brise naissante. Jouer aux sauvages dans l'alizé soutenu. Il suffit que la confiance entre l'un et l'autre revienne. C'est tout.

Il est comme ça Grand Citron Vert. On s'est rencontré une première fois sur les pontons de Pornichet. On est parti faire un premier tour de Bretagne avec ses nouveaux maîtres. Des beaux moments : petit mouillage au cap de la chèvre, rencontre en mer avec son nouveau pote "Le père Jo", arrivée au petit matin à Roscoff en rasant les cailloux de Batz, un petit mouillage tranquille à Herm,... A partir de là, on n'a pas arrêté d'échanger en navigation comme au chantier. Je crois qu'il n'y a guère que Scuzy, le compagnon de la Mini que je connaissais mieux. Après plus de six mois passé à terre, j'avais un peu perdu le Ba BA. Les bords avec Edulis étaient bien loin. GCV me l'a rappelé jour après jour, en étant vigilant à ma moindre défaillance... A la moindre faille, la punition. Aucune latitude. Une jolie leçon que je ne pourrai oublier.

Vous ne pensiez pas que la relation avec un bateau était si difficile. J'en ai connu quelque uns entre les relations de travail, les copains de vacances, les compagnons de reportages, les maîtres des premières croisières, les guides des navigations en solitaire, le frère de la Mini Transat, les compagnons de voyage. Tous ceux qui m'ont donné du plaisir sur l'eau, qui ont fait confiance à mes quelques connaissances en navigation, à qui j'ai donné aussi, de qui j'ai parlé, avec qui on a partagé.

On dirait presque celle avec une personne. J'ai toujours trouvé un peu ridicule que les Anglais, alors que les animaux sont considérés dans leur grammaire comme des choses, personnifient les voiliers en parlant d'eux comme d'une femme. Je commence à comprendre vraiment pourquoi. Un bateau, il faut d'abord le séduire, lui montrer ses quelques talents mais en essayant de rester humble, en tout cas, jamais se vanter, être disponible quand il a besoin de nous, jouer l'indifférent dans les moments de tension pour ne pas envenimer les choses et puis, dans les coups durs, comme dans les moments les plus beaux, être à 100% présent. Et quand ça ne va pas comme il veut, il sait parfaitement vous rappeler les priorités, et ça peut faire mal ou beaucoup de bien... C'est pour ça qu'on les aime...

A tout à l'heure

mercredi, juillet 19, 2006

10 mois... et toujours du bonheur

Le bassin s'était vidé de l'agitation du départ de chaque concurrent. Les pontons étaient déserts. Le moteur d'Edulis ronronnait depuis un moment. Des amis sont venus faire un dernier "à tout à l'heure" forcément émouvant. Le bateau s'est déhalé du quai. Un dernier regard, un dernier salut et puis... Ne plus se retourner. Ce voyage, qui me mènerait je ne sais où,  je le sentais au plus profond de moi. Il ne fallait plus penser à ses dernières semaines de séparations émouvantes avec tous ceux qui enveloppaient ma vie depuis des années. Passage de l'écluse. Des saluts, des regards connus qui sourient. Et puis, le grand chenal qui mène au delà des Minimes. Ne plus se retourner. Ne plus jamais se retourner. Le voyage, c'est devant, c'est le présent à 100%. C'est l'avenir à court terme qui se présente chaque matin au réveil. Les premiers jours de navigation vers le Canaries s'annonçaient au mieux. Un joli prémisse pour la suite. Tout devait bien se passer. Tout allait bien se passer. Le sourire, comme le soleil, était sur mon visage.
C'était il y a exactement 10 mois. Soit un peu plus d'une année scolaire.
Une année scolaire, ce peut être très long pour les enfants, très court pour les adultes. Pour moi, c'est un peu des deux. J'ai l'impression d'être parti depuis des siècles. A la fois, ce départ de La Rochelle me parait encore tout proche. Ces dix mois on été particulièrement riches  - je l'ai souvent dit - en rencontres, en paysages enjôleurs, en expériences diverses... Il y a eu aussi des fins et des séparations difficiles mais pour mieux encore remplir le coeur. Ces dix mois ont été riches aussi intérieurement. Ma vision de la vie a évidemment évolué, vers plus de simplicité, de sérénité, d'acceptation de l'imprévu, d'ouverture. Mes buts ne sont plus les mêmes, moins influencés par l'importance du paraître ou de l'utile de notre société. Je ne sais pas ce que je suis venu chercher sur cette route mais j'y ai trouvé beaucoup de choses, notamment à l'intérieur de mon être. Une impression d'en savoir de moins en moins tout en comprenant de mieux en mieux.
Et puis cette petite voix qui s'est faite une place de plus en plus importante pour devenir presque primordial. Et après une période de doute quant à un éventuel retour relativement proche, avec un retour à un ersatz de ce que j'ai vécu avant, forcément insatisfaisant, j'ai aujourd'hui la certitude que je dois continuer. Vers où ? "A l'ouest, toujours à l'ouest" a écrit Jack Kérouac, l'écrivain culte de la beat génération dans les années 60-70. Et l'ouest, vu du pont d'un bateau sur les côtes du Vénézuela, c'est plutôt séduisant, surtout que le vent nous y pousse. C'est cette petite voix qui me le dit. Elle transforme ça en une grande sensation de sérénité, un peu comparable à celle que j'ai eu quand j'ai pris ma décision de partir pour ce long voyage, mais en plus intense. J'ai encore à rencontrer, découvrir, admirer, boire ce calice rafraîchissant et étincelant que nous offre chaque jour la vie...
Bon, ça ne veut pas dire que l'on ne se reverra pas. Je n'y tiens pas. Les liens créés au court des années sont encore bien là et je n'ai aucune envie de les couper. Je pense bien jeter, le temps d'un aller et retour, un voile sur mon principe de ne pas prendre l'avion, histoire que les liens qui nous unissent ne s'évanouissent pas sous une couche de poussière pouasseuse, histoire que la richesse du passé nourrisse encore mieux notre présent, histoire que l'on se paye encore quelques bonnes parties de rigolade et de convivialité. Le voyage n'est pas un oubli, c'est une grange à souvenir toujours en mouvement qui s'emplit chaque jour.
C'est l'univers tellement connu de la vie sur un bateau qui m'a offert la réponse- un peu aussi cette marche revigorante vers le Roraima-, après cette route qui n'en finissait pas entre Cuzco et Puerto La Cruz qu'il fallait parcourir en un temps limité. Une course après le temps qui m'empêchait de voir clair. La douceur des mouvements au mouillage, le bruit du clapotis le long de la coque, les réveils sans bus à prendre ou visites à faire, les quelques bricolages du bord, la vie qui coule tranquillement au rythme de l'humeur, m'ont rendu une certaine clairvoyance et offert cette certitude. Le tour aux Roques avec ces fonds et ses poissons si beaux, un disfrutage riche vers les mouillages de la côte, une perspective de cabotage tranquille entre côtes et îles du Vénézuela puis de la Colombie me montrent que j'ai raison. C'est peut être l'âge - j'ai eu un an de plus le jour où la France a battu le Portugal. Je vous réserve d'ailleurs une surprise quand j'aurai mis les photos en ligne...- mais je vois mon avenir avec une certaine confiance même si je ne sais pas ce que je ferai ne serait-ce que dans une semaine... Cela aussi, c'est bon.
Après plusieurs semaine de silence sur ce blog, le retour peut paraître un peu brut, moins voyagineur qu'avant. Pas du tout voyagineur d'ailleurs. C'est plus du ressenti, un autre partage de mon voyage qui n'est évidemment pas sans questions - comment pourrait-il l'être ? - et sans réponses. Je vous promet que dès que l'on aura fini les quelques travaux qui occupent à présent nos journées et que l'on aura mis le cap à l'ouest, je reprendrai le blog plus régulièrement mais d'ici là, il faudra se contenter de ce qui me passe dans la tête en attendant ce qui me passera devant la tête.
A tout à l'heure
 
PS : Merci à tous ceux qui m'ont encouragé à reprendre l'écriture de ce carnet de voyage électronique et à tous ceux qui malgré les semaines éloignés continuent de me donner des nouvelles. C'est bon aussi d'être vivant aux yeux de ceux que l'on connaît...