je vais faire un petit tour

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mardi, avril 10, 2007

Osny

Osny

C'était un jeudi. J'avais demandé à Osny, 18 ans, pensionnaire de l'orphelinat depuis ses trois ans et aujourd'hui étudiant aux Cayes, de m'écrire son parcours à l'orphelinat. Il m'a apporté son texte samedi. Il m'a beaucoup touché. Je lui ai demandé si je pouvais le partagé avec vous. Il a accepté plein de fierté et d'émotion dans les yeux. Osny va aussi s'occuper de rédiger un petit journal pour envoyer des nouvelles régulières de l'orphelinat à tous les donateurs et aux anciens volontaires. Bonne lecture…

« Le passé est peut-être tout ce qu'on a laissé derrière nous. C'est peut être aussi le présent qui s'efface à petit pas. Moi, voici mon passé. Ces souvenirs enfouis et peut être oubliés dans un coin de ma mémoire…

Mon arrivée au centre Saint-François s'est réalisée de façon imprévue. Je devais avoir trois ans. Dans la soirée, j'étais chez ma mère, j'ai fait une crise (je suis trépanocytaire de naissance). Ma mère n'avait pas les médicaments qui pouvaient arrêter ma crise. Et moi, j'ai pleuré toute la nuit. Je hurlais même ! A l'aube, à l'heure où mes sœurs s'en allaient à l'école, j'ai été conduit à l'hôpital. L'hôpital, c'était le centre Saint François.

Dix minutes après mon arrivée, j'étais alité, un soluté au bras. Ce rituel continuera toute ma vie : le lit et le soluté…

C'est ce matin là que j'ai vu Sœur Flora pour la première fois. Elle avait quelque chose en elle qui captait l'attention. Peut être la petite croix qu'elle portait au cou. Mais ce dont je me souviens était encore plus frappant : sa façon de sourire derrière ses petites lunettes de verre, un sourire rassurant.

La seringue en main, elle disait en souriant « tu vas voir, ça ne va pas faire mal et dans deux minutes, ce sera fini ! » Deux minutes plus tard, c'était terminé mais la piqure faisait quand même mal. Puis elle m'a apporté un verre de lait et quelques comprimés à avaler avec. Ensuite, j'ai du dormir.

Au réveil je n'avais presque plus mal. J'ai remarqué quelque chose de bizarre : une valise bourrée d'affaire était à mes pieds. Je me suis dit que c'était pour ma mère. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que c'était ma valise. Quand ma mère m'expliqua qu'elle allait partir et que je resterai pour toujours avec la sœur…

« Mais non ! Tu ne peux pas me faire ça ? ! »

« C'est pour ton bien mon enfant. Quand tu seras grand, je viendrai te chercher… »

J'ai cru en cet « je viendrai te chercher ». A cet âge, on croit tout ce qu'on nous dit… A présent, je sais que c'est pour mon bien qu'elle n'est jamais revenue. Elle ne viendra jamais désormais.

Le soluté terminé et avec la nuit approchante, Sœur Flora m'a fait déménager. J'ai quitté la salle d'urgence pour la chambre où je passerai sept ans de ma vie. J'avais un lit à côté de Junior. On ne se connaissait évidemment pas mais il me regardait d'une drôle de façon. J'ai passé toute la fin d'après midi jusqu'à l'heure du coucher dans mon lit. Les autres enfants jouaient dehors. Moi, j'étais encore trop malade et trop timide pour le faire. Je ne suis sorti qu'à l'heure du souper. Puis à l'heure de la grande prière du soir. Après j'ai eu du mal à m'endormir. Une page venait d'être tournée dans ma vie. Une page nouvelle se présentait.

La première semaine

J'ai eu du mal à m'habituer aux enfants, à m'adapter avec eux. J'étais comme un étranger parmi eux. Je pleurai à chaque fois que je pensais à mes parents, encore plus lorsque ma mère venait me voir. Au fond de moi était encré une petite nostalgie qui tardait à disparaître. Le souvenir de ma famille de sang était toujours en moi. Elle tardait à disparaître. Elle ne disparaitra jamais.

Tout d'abord, j'ai eu droit à une semaine de repos après mes crises. J'en profitais pour lire et étudier. Le matin, tous les autres enfants s'en allaient à l'école. Moi, je restais à l'orphelinat pour récupérer ce que j'avais perdu.

La première semaine, j'ai connu des enfants comme Toto, Robinson, Junior… Robinson était aussi maladif que moi, sauf que moi, je l'étais beaucoup plus. Toto, lui, me faisait peur. Junior était marrant et on l'appelait « gros zorey »…

Une chose m'a beaucoup surprise la première semaine : la grosse cloche. C'est elle qui rêgle tout chez nous. L'heure du lever, de prier, de manger, de se réunir, d'étudier. Cette cloche doit avoir 25 ans aujourd'hui. Aujourd'hui, je me pose beaucoup de question à son sujet. Combien de repas j'ai pris grâce à elle ? Combien de fois m'a-t'elle tirée du sommeil ? Combien de fois nous a-t'elle réuni ensemble dans la prière ? Combien de fois nous a-t'elle réuni pour étudier ? Elle a assuré une bonne partie de mes études primaires. Grâce à elle, maintenant, je suis en phase terminale. Chaque matin, on se levait à 6 heures. Au son de la cloche, on pouvait dire adieu au sommeil. Sœur Flora passait dans les dortoirs pour réveiller ceux qui ont le sommeil plus lourd… Après on priait. Notre prière constituait à une série de dizaine de chapelet qu'on récitait et à des chants. Ensuite, on se disait « bonne journée ».

Après, c'était la lutte pour se baigner. Les plus rapides arrivent toujours en premier sous la douche. Les plus lents n'avaient qu'à attendre leur tour… Ensuite, c'était madame Gladysse qui nous habillait. Elle nous donnait à chacun nos chemises, nos petits pantalons courts, nos slips, etc. Après il fallait se battre pour les chaussettes, pour essayer d'en avoir une paire. Puis venait l'heure de se peigner les cheveux. L'heure la plus redoutée de nous tous car nos cheveux étaient poivres et mme Gladysse ne perdait pas beaucoup de temps avec eux. A chaque fois qu'elle passait le peigne, c'était comme si on nous arrachait la tête. On faisait des grimaces en quantité. Mais comme toute peine mérite son secours, après c'était nos boite à lunch qui nous faisait sourire. On avait tous de lait, de pain et des petits bonbons. On devait normalement les manger à la récré mais les plus gourmands n'attendaient point cette heure…

L'école Saint-François était à deux pas. « Donc pas de raison d'être en retard », disait Sœur Flora. Souvent, on était déjà dans la cour quand la petite cloche sonnait. A l'époque on avait pour directeur J-C Fanfan. Il était aussi notre superviseur à l'orphelinat. C'était un homme au regard pénétrant derrière ses petites lunettes. Maintenant, il est mort.

Après le son de la cloche, on se mettait tous en rang par classe, le regard fixé au bicolore (le drapeau haïtien NDLR). Sur ordre de Fanfan, on faisait silence, puis on chantait la Dessalinienne (l'hymne haïtien NDLR) : « Pour ce pays, pour les ancêtres, marchons cuna (maintenant) ». Le pays c'est Haïti, autrefois « perle des Antilles », aujourd'hui un pays en ruine, qui souffre énormément à cause de son passé. Les ancêtres sont ceux qui se sont battus pour nous donner la liberté. Aujourd'hui, on pense tous être libre, mais moi, je pense que la liberté, c'est pouvoir subvenir à ses propres besoins, sans l'aide d'autrui. Donc, pour moi, Haïti n'est pas libre.

Arrivé en classe, le prof réclamait le silence et demandait de sortir nos livres. On avait des livres de Français, d'orthographe, de lecture, d'histoire, de géographie, de math, de science… Puis nos cahiers et nos crayons. Moi, j'aimais beaucoup les cours de Français, d'orthographe, de grammaire, de lecture, de géographie…

L'école se terminait à 12h pour les plus petits et entre 13 et 14h pour les plus grands. La récré était la période la plus attendus de nous tous. C'est l'heure où l'on mangeait ce que l'on avait apporté, où l'on rigolait et où l'on jouait. Quand l'école se terminait, on était encore plus content que pendant la récré, tout souriant de retourner à l'orphelinat.

Avec ce même rituel, j'ai passé six ans à l'école St François, jusqu'à l'heure d'entrer en secondaire. J'ai passé six ans à être toujours premier de ma classe, six ans à être malade très souvent, six ans à apprendre à rire, à jouer et aussi six ans à pleurer, à gémir de douleur. J'étais le chouchou de tous les professeurs. Le chouchou intelligent et maladif… J'ai passé aussi six ans à lire Cendrillon, Petite Poucet, Blanche Neige, La Petite Sirène… J'ai passé six à adorer la lecture. Six ans à me demander en vain pourquoi je tombais malade à chaque fois que je me baignais dans la mer. Six ans aussi à détester la mer. Six ans à me trouver différent des autres, trop intelligent et trop maladif à la fois. Trop unique.

C'est comme la fois où nous devions laver la citerne de l'école. Sœur Flora nous l'avait annoncé un vendredi soir. Nous étions très content car la citerne était à moitié pleine. On se disait qu'on allait pouvoir nous baigner avant de la laver. Le lendemain matin, après notre petite prière et après la douche, nous avons avalé en un temps record notre petit déjeuner. Ensuite, on sonna la cloche pour rassembler ceux qui étaient déjà partis jouer ailleurs. C'était Toto qui commandait notre troupe. On avait une pompe électrique pour faire remonter l'eau et des brosses pour frotter la citerne et enlever les limons. On supplia Toto pour qu'il nous laisse nous baigner avant. Comme il accepta, on a tous enlevé nos habits et, tout nu, on a sauté dans la citerne. C'était formidable ! L'eau nous arrivait presque jusqu'au cou. On riait. On se baignait…

Mais deux heures plus tard, j'étais le seul à être alité avec un soluté dans le bras. J'étais le seul à hurler de douleur. J'étais le seul à vomir tout ce que j'avalais. J'étais trop unique, trop maladif, trop différent… J'étais le seul à être comme je suis…

Très tôt, j'ai pris conscience des difficultés que j'aurai à croiser le long de ma vie. J'ai su que je n'étais pas comme les autres et cette différence me fera beaucoup souffrir.

« Pourquoi Dieu m'a-t'il créé ainsi ? », me questionnais-je en vain. Pourquoi suis-je différent des autres ? Pourquoi suis-je toujours premier en classe, mais dernier en santé ? Plusieurs fois, je me suis dit que c'était mieux de ne pas être trop intelligent que d'avoir à souffrir toute ne vie d'une maladie incurable. Je ne dis pas que, si j'avais le choix, je changerais de cadre, je choisirai d'être en santé plutôt que d'être intelligent. Mais les voies du Seigneur sont impénétrables, celle du destin aussi. Le Destin est mon seul soulagement. Bien que je l'ignore complètement, je me dis que si Dieu m'a créé ainsi c'est peut-être pour me confié une mission à accomplir dans sa vie. Je me dis que la mienne doit être spéciale. « C'est pour vous que la terre porte ses fruits », écrit K. Gibra      n dans son livre. Mais moi, qu'apporterai-je à demain, à Saint-François, à Haïti ?

Le centre St-François reçoit non seulement les orphelins, mais aussi els handicapés physiques et mentaux. Ce sont des jeunes qui dépendent totalement des autres. Il faut les baigner, les changer, les nourrir, et les déplacer. A l'orphelinat, quand j'étais gosse, on avait tous un handicapé à qui donner à manger puis à boire. Sœur Flora nous disait souvent de bien soigner les handicapés et de les respecter car c'est une chance que l'on ne soit pas à leur place et que l'on ne sait pas de quoi demain sera fait. Quand elle parle comme ça,je me rappelle toujours de cette partie de la bible où Jésus dit à ses disciples : « On vous mesureras de la mesure dont vous avez mesurez les autres. » Quand un handicapés meurt, pour Sœur Flora, c'est un petit Saint qui est parti au cieux nous préparer une place tout près de Dieu, et qui peut nous aider à trouver des faveurs dans le royaume céleste. Comme dit la Bible : « Laissez venir à moi les enfants, le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemble. »

Les handicapés ne sont pas libre physiquement mais mentalement, je crois qu'il le sont. A en juger leur regard, on peut voir qu'ils ont faim, peur, soif, où qu'ils sont contents. Je crois que les handicapés ont une capacité à endurer la souffrance que nous n'avons pas, nous les « normaux ». Ils ont quelque chose de mystérieux. Une sorte d'esprit propre à eux. Une façon de regarder, de voir, d'être content ou fâché. Ils sont peut-être plus heureux que nous dans leurs fauteuils ? Eux, ils se contentent de vivre l'instant. Nous, on vit avec des objectifs, des projets. Ils ne s'inquiètent pas de la guerre en Irak, ni de l'heure qui passe. Ils se contentent de fermer les yeux la nuit et de les ouvrir le matin. Nous, nous avons trop peur. Peur de l'heure qui passe, peur des autres,peur de nous-même. Peur de demain qu'on ne connaît pas. Nous avons trop peur. Nous voulons trop souvent éviter à tout prix l'inévitable. Nous voulons trop souvent éviter la mort. Pourtant, ce demain qui nous fait peur, fait partie de notre vie, de nous-mêmes. D'où la preuve que nous avons trop peur de nous-même car le choc est à la fois la vie et la mort. Il porte les deux en lui comme une mère porte dans ses bras ses deux enfants.

Les handicapés eux ont la chance de ne pas avoir peur de la mort et c'est ce qui les rend unique et différent de nous. Ils y en a qui se disent malheureux sans savoir qu'il existe des plus malheureux qu'eux, mais à l'exemple des handicapés, je constate que les plus malheureux ne se plaignent jamais. D'un côté, ils sont aussi les plus bienheureux, pas dans le sens matériel du mot, mais dans le sens naturel.

Il y en a aussi qui sont heureux de voir les autres heureux. C'est le cas de Sœur Flora. Ces gens là ont un objectif à atteindre : rendre les autres heureux en sacrifiant leur vie. Leur bonheur se trouve dans le sourire de l'autre. Ces gens là aussi sont des bienheureux ! Mais, ces gens ne sont pas nombreux.

Je vais terminé avec cette phrase : « Heureux ceux qui rendent les autres heureux, la vie les récompensera. »

La vie est tout ce que l'on a, tout ce que l'on n'a pas, tout ce que l'on possède, tout ce que l'on ne possède pas, mais qu'on rencontre chez les autres. »

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