je vais faire un petit tour

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mercredi, février 07, 2007

L'orphelinat

L'orphelinat

C'était un mercredi. Nous allions à Madame Bernard à la fois pour mener le matériel que nous apportions avec Michel, pour que Jean-Luc aille voir le juge pour l'histoire du puits et pour chercher la pompe qui a servi ce même puits. Si je n'étais pas du voyage chez le juge, qui ne me concernait finalement que peu, je fus de celui de l'orphelinat où je dois passer tout de même la majorité de mon temps. L'endroit se situe à quelques 300 mètres de l'embarcadère sur les hauteurs. Sac à dos plein, cartons dans les mains, nous traversons d'abord une zone qui doit être marécageuse pendant la saison des pluies, un joli nid à moustiques. Puis on a attaqué la « rue ». Enfin la rue, un chemin cahoteux où l'eau doit raviner au moindre grain...

L'Ecole des Frères de Montfort à gauche, quelques maisons à droite, et puis le « domaine » de S?ur Flora : l'école sur la gauche, l'orphelinat Saint François à droite. Un portail entouré d'un mur de deux mètres, une première cour avec le lieu de consultation, la pharmacie et le laboratoire sur la gauche. Un autre mur mais sans porte celui-là, à gauche le lieu de vie des enfants avec dans le prolongement, une nouvelle bâtisse dont la construction est arrêtée faute de moyens, à droite les communs avec la cuisine et une petite maison qui abrite le générateur. On s'engage entre les deux pour aller vers le pavillon des volontaires, vide actuellement, à quelques mètres dans le bas du terrain. Près de celui-ci, non loin du puits et du grand manguier, un feu avec des femmes autour qui prépare le repas de midi. L'accès est fermé par une grille et abrite aussi l'atelier, royaume de Michel. C'est aussi là qu'il dort avec sa moustiquaire parce que l'endroit est bien aéré.

On dépose le matériel. On découvre. Du monde partout. Un terrain terreux et rocailleux peu entretenu et sale de sacs plastique. Michel, qui reprend une nouvel vigueur ? l'endroit lui est familier depuis treize ans ?, nous fait visiter les lieux et nous fait rentrer dans le sein des seins : le lieu de vie. Un escalier et une rampe d'accès pour les chaises roulantes, un petit porche, un patio abrité par un toit en tôle ondulée et entouré des chambres d'enfants, des sanitaires, d'une deuxième cuisine, de la chambre de S?ur Flora et du bureau bibliothèque.

Au milieu des tables et des chaises pour enfants Dans un coin, deux grands matelas bleu de gymnastique sur lesquels repose des polyhandicapés, petits corps maigres et recroquevillés sur eux-mêmes. A côté, des chaises roulantes avec assis dedans d'autres enfants un peu plus valides. Et puis, autour, égaillés dans le patio à jouer, assis à ne rien faire, peut-être à rêver ou à dormir à même le sol, des enfants de deux à cinq ans. D'autres, plus grands, passent et repassent. Les quelques personnes encadrantes, dont deux infirmiers, oeuvrent tranquillement.

Je m'attendais, grâce aux descriptions de Michel, à un spectacle dur. Il n'atteint pas le dixième de la réalité. Il n'y a pas de mots, je crois, pour définir ce je voie, ce qui se passe en moi. Comment cela peut exister ? Ça existe, tout simplement?

Michel nous présente, nous explique calmement, nous raconte chacun des enfants handicapés, sa raison d'être ici. J'avoue que je n'ai qu'une envie : sortir de ce lieu. Il va pourtant bien falloir s'habituer. J'ai décidé de lui donner de mon temps et de mon énergie. Mais, plus tard. Encore une fois, il faut digérer. Je retrouve « la rue » avec soulagement, l'intérieur complètement renversé, noué.

C'était un lundi, quelques jours plus tard. Magali et Jean-Luc, kiné et ostéopathe, doivent faire des interventions sur les enfants et me montrer quelques manipulations pour les apaiser, les détendre. Une heure et demi de marche depuis Cacoq. On rencontre sur la route Julien, jeune Français en voyage en Haïti avec son Leica autour du cou. Il a déjà pris des photos à la Cité Soleil, le grand bidonville de Port au Prince, véritable poudrière de révolte contre la pauvreté où les forces de l'ONU, appelée « forces d'occupation » par une partie de la population, essayent de faire régner l'ordre. Il s'est ensuite déplacé vers le sud-ouest du pays jusqu'à l'île à Vache. Il est arrivé à Soulette la veille où le puits a été vidé. Je lui propose de venir faire des photos à l'orphelinat puis à Canober pour le bain bihebdomadaire des polyhandicapés. Il nous raconte sa découverte du pays. On partage le voyage en bateau qu'il se verrait bien entreprendre un jour.

C'est jour de marché à Madame Bernard. Presque toute l'île est ici pour acheter quelques légumes et fruits, de l'épicerie, du pain, du riz?. Enfin ce que l'on peut avec les quelques Gourdes (la monnaie haïtienne) que l'on a en poche.

S?ur Flora est revenu de son séjour à Port au Prince et aux Cayes pour des histoires d'élections (elles ont eu lieu il y a deux mois et demi et les résultats n'ont toujours pas été promulgués?) notamment. Elle accepte le témoignage argentique de Julien. Je lui parle d'une éventuelle et possible exposition à organiser plus tard en France et pourquoi pas au Québec, sa terre natale. On retrouve Michel qui joue à l'assistante sociale dans sa chambre bureau. Il n'arrête pas mais à l'air heureux derrière sa barbe.

On va voir les enfants. Le choc est évidemment moins fort. On finit par s'habituer à tout finalement, même au pire. Jean-Luc, qui n'avait pas fait parti du premier voyage, est effaré par les conditions de vie et d'hygiène, par l'état des polyhandicapés. On se sent plus admis. On donne ce que l'on peut. On sourit. On joue avec quelques enfants. Je suis adopté par trois petits, une petite fille, Evelyne, qui prendra son compte d'affection au moins pour la journée, accrochée à mon cou, me serrant très fort et me faisant câlin sur câlin, et deux petits gars qui, voyant que la place est prise dans mes bras, s'accroche à mon bermuda. Mon grand chapeau de paille les amuse.

Distribution de fruits écrasés pour les enfants handicapés donnés par tous sauf moi, mains et jambes prises par mes trois agréables petites sangsues. Il y a des sourires, des rires, des disputes pour en avoir plus. On descend ensuite ces enfants sous le manguier pour casser la monotonie de leur cadre. On se rend compte que l'état sanitaire des enfants est affolant. Jean-Luc me montre quelques manipulations pour « ouvrir » leur renfermement. On voit sur les visages de l'apaisement, un peu de souffrance aussi, les membres n'ont plus l'habitude?

Repas des petits que l'on va chercher un peu partout dans le terrain. Puis, nous mangeons dans le réfectoire avec s?ur Flora. Elle nous raconte l'orphelinat, le pays, les élections, la corruption partout. Calmement, sans jugement de rien. Haïti est le pays le plus corrompu au monde. Les trafics de Cocaïne venant de Colombie remplit les poches des officiels jusqu'au plus haut placé. Le pays est aux abois car sans plus aucun espoir.

Les enfants revenus de l'école en face font leur leçon dans le patio. Les plus petits sont à la sieste. Les handicapés profitent sous le manguier. Ils vont bientôt rentrer pour les soins. Certains enfants jouent avec Gaïa. Je me suis habitué au lieu et à ses pensionnaires. Je sais que je peux y apporter un petit quelque chose.

On reprend le chemin de Cacoq. Julien est tout retourné mais il viendra quand même à Canober le lendemain prendre les bains. Sur le retour, on a besoin de rire. On raconte n'importe quoi pour se faire du bien. Le dîner sera encore plus rigolard. On a besoin de lâcher, de dédramatiser ce que l'on a vécu, de reprendre notre vie pour mieux donner à la leur?

A tout à l'heure

PS : José en prison, vous y croyez vous ? ou comment faire campagne depuis sa cellule. ça va être dur pour les meetings. Je veux dire pour faire rentrer tout le monde dans la cellule...