Canobert
Je me levais donc avec le sourire, comme souvent, à l'intérieur comme à l'extérieur. J'ai décidé d'accompagner Michel aux bains des enfants handicapés à Canobert, histoire de vivre de l'intérieur ce programme dont mon barbu préféré me parle avec passion depuis plus d'un mois.
Départ vers neuf heures de l'orphelinat. Les enfants qui ne marchent pas sont descendus au canot en brancard, deux par brancard, trois allers, six enfants. Avec Michel, Francienne et Josette, on accompagne à pieds, Sébastien, autiste et épileptique dont j'ai déjà parlé, Roseline, qui présente quelques retards psychologique et de petits handicap physique mais une grande joie de vivre, Rosemonde, plus calme et un peu moins souriante, plus soucieuse dirait-on, et Ti Jacques, autistes aussi – il peut se refermer très profondément ou venir jouer avec les autres enfants avec plein de joie et d'entrain.
L'alizé est plutôt fort ce matin. Le long canot étroit surfe quelques peu sur le clapot. Captain Jean à la barre maîtrise… Le temps d'admirer la côte et le chemine que j'empreinte à présent deux fois par semaine et nous arrivons à l'ajoupa, l'abri sans mur en bord de plage. Pour beaucoup, l'endroit semblerait paradisiaque, comme pour Fat puis Jean-Pierre, deux québécois qui se sont installé ici il y a respectivement 25 et 13 ans. Mais, comme Myriam qui a quitté le lieu cette année après avoir tenté d'ouvrir une école, type Steiner, un atelier de couture communautaire et autres, ils sont un peu désabusés de la situation ici, de l'engrenage d'assistanat pratiquement sans issu dans lequel est plongé l'île et certainement le pays. Dans toutes les discussions, même les plus enthousiaste sur des projets, arrivent le moment où se pose la question des hommes et de leur véritable motivation. Mais j'y reviendrai plus tard certainement.
Qu'importe, pour le moment, aujourd'hui, je veux me rendre compte, découvrir le bien fondé - dont je ne doute pas au fond de moi - de la démarche de Michel. Les enfants sont allongés ou assis sur des tapis de mousse sur le sol de l'ajoupa, d'autres sont dans des hamacs en tissus, tous à l'abri du vent grâce à une grande bâche tendue. Sébastien, Roseline et Ti Jacques jouent en dehors, dans le sable, chacun de son côté. Le temps de chercher tout le matériel, de s'installer et de se rendre compte que le déjeuner ne sera que du riz et des haricots, sans sauce, ni poisson, faute de budget suffisant (les prix ont étonnement augmenté ces dernières années) pour Brédinor, le voisin qui sert de « plate forme technique » au programme, nous commençons à emmener les enfants sur la plage, pieds dans l'eau, le corps calé dans des fauteuils château de sable. Chez certain, on sent un petit stress qui disparaît vite mais la plupart ont le sourire depuis l'embarquement dans le canot. Ils respirent un air beaucoup plus pur. Ils sentent sur leur peau les grains de sable, le frais et la douceur de la mer, les herbes qui chatouillent. Ils retrouvent un milieu qu'ils n'auraient jamais voulu quitter dans le ventre de leur mère…
On laisse chacun s'habituer, apprécier et on les prend chacun pour les emmener « nager ». Allongé dans des flotteurs en demi cercle en mousse et filet, pour les plus grands, dans les bras des accompagnateurs pour les plus petits, chacun profite allègrement. Les corps se détendent. Les sourires sont sur les visages. Quelques fois un fou rire quand une vague arrose par surprise un visage. Les peaux sont nettoyées. Les sinus se débouchent.
Sébastien est plus qu'à son aise. Allongé dans sa bouée, il se laisse dériver au fil de l'eau, le visage détendu, en pleine méditation. C'est préférable aux crises qu'il passe à se taper la tête sur ses genoux voire sur les murs… Le bain dure une demi heure, parfois plus lorsque le temps est plus clément. Les enfants sont sortis de l'eau, séchés dans de grands peignoirs. Allongés sur leur matelas, assis sur le sable ou bercé dans les hamacs, ils disfrutent de ces instant qui doivent être proche de leur bonheur, en tout cas, ils sont loin du tohu bohut normal de l'orphelinat. Le repas arrive. Chacun se fait nourrir à la cuillère puis tombe dans un état de léthargie digestive.
Nous en profitons avec Michel pour nous échapper chez jean Pierre puis chez Fat avec qui nous échangeons de l'orphelinat, de la situation de l'île et du programme de jardin communautaire de Fat qui s'acharne encore malgré de multiples échecs venus à chaque fois lors de ces retours à Montréal. Tout cela avec le sourire évidemment. Comme dit Michel, ici,il faut avoir beaucoup d'humour. Il m'avait tellement parlé de ces personnages hauts en couleur que j'ai l'impression d'être avec de vieilles connaissances…
Nos retrouvons nos protégés sous l'ajoupa pour le deuxième bain de la journée. L'entrain des accompagnateurs est un peu amoindris mais ils ne faillissent pas dans leur mission. Est-ce la présence de celui qui a lancé et qui finance l'opération ? ou bien est-ce le bruit de plus en plus fort que Flora veut mettre un terme à ces expéditions quadrihebdomadaires donc la fin de leur contrat avec l'orphelinat ? Un peu de tout ça…
La fin du deuxième bain montre une détente encore plus profonde, peut-être pour mettre à profit encore plus cette journée et se l'accaparer plus encore. Je perturbe un peu leur cocon par quelques massages d'ouverture. Les membres sont moins raides. Les réactions moins craintives d'une quelconque douleur. Séchage, rangement, embarquement, route contre le vent et les embruns, débarquement, remonter à l'orphelinat alors que le soleil est encore haut.
Alors que Flora est en plein rangement, je profite d'une petite pause où elle m'adresse la parole pour partager mon enthousiasme pour les bains à Canobert et leurs bienfaits évident. Elle écoute mais me reparle de sa piscine avec une idée plus précise. J'insiste encore sur les problèmes sanitaires et techniques d'une telle installation. Fin de discussion. On passe à autre chose.
L'installation du magnétoscope sur la télé pour que les enfants ne regardent plus ces séries télés débilisantes, puis préparation de l'anniversaire d'Etienne, 14 ans, pour qui un gros gâteau a été préparé. Après les chants sous les étoiles, la petite douche dessalante et la satisfaction devant l'attention des enfants devant le dessin animé loin du brouhaha habituel à cette heure là, nous nous mettons à table. Michel parle de ne réserver la descente des brancards qu'au personnel qu'il finance. Flora abonde dans son sens. Je comprends qu'ils se sont parlés avant sur le sujet. Ce qui bloquait de plus en plus, ne bloque plus. Les bains ne gênent plus la maîtresse des lieux puisqu'elle peut se séparer du personnel qui n'est pas motivé ou adapté à sa tache. La tension entre le deux compagnons d'infortune de longue date n'existe plus ce soir. Canobert serait-il sauvé ?
Le gros gâteau arrive sur la table avec quatorze bougies dessus. Etienne est un peu ému par la présence de tous les pensionnaires de l'orphelinat qui chantent pour lui. Il est des journées souvent plus belles que d'autres…
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