Voyage au centre de la terre
Cette montagne est appelée aujourd'hui le "Cerro Rico" (la montagne riche). Avant l'arrivée des Européens, elle s'appelait le "Sumaj Orcko" (la "plus belle montagne" en quechua, la langue des autochtone encore largement employée). Elle était sacrée du temps des Incas. Les Quechuas devaient certainement la respecter du fait de son magnétisme naturel. Un indien, Huallpa, a changé complètement son destin en révélant qu'elle recelait de l'argent à un conquistador espagnol. C'était en 1545, à peine 50 ans après la découverte de ce continent par Christophe Collomb... Dix ans plus tard, Charles Quint fit de la ville champignon qui s'est bâtit à ses pieds, une ville impériale, la seule en Amérique latine. Pendant trois siècles, ses filons d'argent, dont nombreux étaient pratiquement purs, ont été largement exploité par la couronne espagnole. Au milieu du XIXe siècle, Potosi était une ville plus importante que Paris ou Londres. Au-delà du fait que l'argent qui a été soutirée de cette montagne a bouleversé l'économie européenne, elle a tout changé dans ce coin tranquille de l'Altiplano. A 4500 mètres d'altitude, il ne se passe pas grand chose en temps normal. Le climat, malgré une situation au nord du tropique du Capricorne (á peu près la latitude de Rio de Janeiro...) est plutôt très rude avec des températures n'excédant que rarement 20º, des vents glacials descendant des sommets, un soleil brûlant malgré tout les peaux et des nuits á faire trembler des ours blancs (moi qui était heureux de retrouver les tropiques...). Les indiens, plutôt que de vivre comme avant de cultures vivrières, de chasses, un peu d'élevage et du respect de leur terre, ont été envoyés dans les étroits tunnels creusés dans la montagne sans que l'on leur demande évidemment leur avis. C'est tellement plus facile de devenir riche en exploitant la force et la vie des autres. Rien n'a finalement beaucoup changé depuis ces temps finalement pas si ancien que cela. Plus de six millions d'hommes, Indiens Aymaras, Quechuas et aussi des noirs importés d'Afrique via le commerce triangulaire, qui ne supportèrent évidemment pas le climat, sont mort ici.
Et puis, comme il arrive pour toutes les ressources venant de la terre, les filons s'épuisèrent, devinrent moins rentables. On en découvrit d'autres au Pérou et au Mexique. Potosi fut pratiquement abandonné. L'étain dans la même montagne lui redonna une nouvelle vie. Mais sa splendeur n'était plus que du passé. La crise de 1929 lui donna le coup de grâce, du moins par le capitalisme occidentale car les habitants de la ville ne voulaient pas abandonné le Cerro Rico. Des coopératives furent créées. L'exploitation continua pour survivre.
Aujourd'hui, Potosi est Patrimoine Mondiale de l'Humanité mais non pour cette montagne qui a vu la mort de tant d'hommes mais pour ces dizaines d'églises baroques aux décorations orgueilleuses et ses bâtisses témointes de la richesse passée. Tous ces monuments construit par les marchands du temple, bien loin des idéaux qu'ils représentent. Sur les 800 000 habitants de la ville, deux tiers sont considérés comme pauvres, dont la moitié comme très pauvres... Le minerai qui sort de la mine n'offre après traitement ne comporte que 70% d'argent vendu à des consortium en Europe ou aux Etats Unis à vil prix et transformé ensuite pour obtenir un minerai pur.
Le tourisme apporte quelques revenus à la région, particulièrement la visite des mines encore en activité. Evidemment, j'y suis allé. J'avoue avoir hésité. Visiter des sites comme celui-ci avec en poche ce qu'il faut pour faire vivre une famille de mineur pendant plusieurs mois me paraissait indécent. En même temps, 15% de ce que j'ai payé est partis directement aux mineurs. 30 000 bolivianos (4500 euros) sont ainsi redistribués chaque année au famille sous forme de riz, de sucre et autres nourritures de première nécessité pour éviter que cette manne ne parte dans les cafés de la ville. Surtout, je crois que ce séjour de quelques heures dans les minuscules couloirs creusés dans la montagne est une expérience unique qui va me faire voir le monde de manière encore différente.
Que penser en croisant des adolescents, voire des enfants de moins de dix ans, poussés des wagonnets d'une tonne dans ces boyaux dont les plafonds ne dépassent que très rarement 1,50m, en observant ceux qui percent la roches avec un marteau piqueur dans une chaleur de 35 à 45º ou, encore plus surréaliste, ce mineur de 30 ans seul dans une petite cavité au noir total, taper avec sa massette sur une barre à mine à la recherche du filon qui peut-être lui donnera une fortune hypothétique. On leur a inculqué, comme partout dans le monde, que l'argent faisait le bonheur...
On ne peut pas sortir d'ici comme avant. Pendant quelques heures, on a partagé de très loin, en recherchant notre respiration, en suant plus que de nature, en se tapant le crane casqué sur la roche ou les madriers de bois prévenant les écroulements, le quotidien de ces hommes et de ces femmes, gavés de feuille de Coca, leur seul nourriture pendant les dix heures de mines. Un paysage que Zola ne renierait pas...
Pourtant ici, il y a de quoi vivre pour tous les habitants sans la mine. L'Altiplano offre la Quinua, une céréale très riche, les lamas à la viande plus saine que celle de boeuf. Mais en ville, on rechigne à manger cela. C'est nourriture de paysan. Les gens de la ville mérite mieux. Boeuf, porc, pomme de terre ou riz venant des autres régions de Bolivie. Mais la course à la richesse, ou à la pseudo richesse, est toujours plus forte. Les magnifiques leçons de vie des ancêtres, laissant parlé la terre et l'environnement dans un grand respect, sont très loin, presque oubliés. Asi va la vida. Asi va el mundo. Quel gâchis !
Alors ? Alors, je ne sais pas. C'est encore trop jeune. Le reste du voyage parait vraiment futile. La baignade d'hier dans ce lac naturel aux eaux chaudes au milieu d'un paysage superbes est bien lointain. Malgré tout, ce soir, je suis sûr d'avoir bien fait de venir ici. Evo Morales, venu ici hier, promettre une vie meilleure comme il tente de la faire dans tout ce pays, le plus pauvre d'Amérique du Sud, malgré le mur capitaliste devant lequel il se trouve, me fait penser qu'il y a encore de l'espoir. Tant que les faibles croient qu'ils peuvent encore lutter contre ces monstres d'argent, il y a effectivement encore de l'espoir. C'est histoire de volonté générale. Si l'on veut tous, on pourra tous... Encore faut-il le vouloir. Encore faut-il croire que l'accumulation de biens n'est pas une fin en soit. Je ne suis même pas en colère contre ce monde fait d'injustice ce soir. Je suis fatigué. Je vais aller me coucher. Demain, le voyage continuera, même si la grève des transports me bloque une journée de plus ici. Le voyage continue évidemment. Ma quête de je ne sais quoi.
Vous l'avez évidemment compris. Mon annonce d'avant hier n'est qu'un bête poisson d'avril. J'ai rendez-vous avec Grand Citron Vert à Caracas au Vénézuela dans deux mois. D'autres lieux m'attendent. Je vais encore m'enrichir de chose que notre monde juge futile. Cette futilité est nettement plus riche que n'importe quel télévision à écran plasma, n'importe quelle limousine clinquante, n'importe quelle piscine pourtant bien agréable...
"Ce n'est pas nous qui faisons le voyage, c'est le voyage qui nous fait". J'ai lu cela avant mon départ. J'y croyais, aujourd'hui, j'en suis sur. Merci Nicolas Bouvier.
A tout à l'heure
PS Merci à tous ceux qui de leur commentaire ici même ou par mail n'ont pas cru totalement à mon retour immédiat...
Je viens de voir qu'en plus du CPE, le gouvernement est en train discretement de vider de sa substance la loi SRU obligeant chaque ville à avoir un quota de 20% de logements sociaux pour favoriser la mixité sociale... Ils ont raison. On a bien vu en octobre que les ghettos, ça fonctionnait parfaitement...
1 Comments:
Bon alors quand est-ce que tu deviens missionnaire et que tu donnes ta vie aux autres?
By Anonyme, at 18:57
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