je vais faire un petit tour

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samedi, mars 10, 2007

C'est un peu tous les jours...

C'était un lundi, peut-être un mardi ou bien un mercredi et puis un jeudi tout comme un vendredi. Oui, c'était tous ces jours-là. Parce que même si ce n'est jamais pareil, ça se ressemble toujours un peu avec un font de grande différence...

Ça commence donc avec le lever du soleil, les premières paroles, un son de cloche, des cris d'enfants, des chants de coq, la lueur des premiers rayons et un sourire intérieur grand comme ça. Après une première heure à déguster tout cela calmement avec le chi kong ou assis sur ma petite chaise en osier à me délecter d'un chadec juteux, je rejoins l'agitation.

Enfin, l'agitation… La vie plutôt, celle d'une quarantaine d'enfants entre 1 et 16 ans qui habitent dans la même grande maison (enfin pas si grande finalement mais suffisante puisqu'ils s'en contentent…). La traversée de la cours est ponctuée par de nombreux « bonjou', comen yé ? Bien domi ? » aux cuisinières ou autres déjà au travail. Je monte les escaliers et fait mon entrée dans l'espace de vie où j'ai pris l'habitude d'aller dire bonjour à chacun des enfants et au personnel. Chez les petits, celui qui n'a pas eu sa bise revient à l'assaut dans les minutes qui suivent. Quelque fois, un ou une grande vient me demander un conseil de dernière minute pour ses devoirs. D'autres matins, je console un réveil difficile ou motive une paresse pour partir à l'école. J'ai même fait traverser le petit Higgins qui avait l'air pétrifié sous les trois gouttes d'eau qui tombaient… C'est toujours avec le sourire, de ma part, je m'y efforce, et chez eux parce qu'il est naturel et qu'il revient très vite quand il s'est absenté. J'aime bien ces débuts de journée. On se dit que tout le reste va être ainsi…

Chemise jaune, short ou robe marron, les petits écoliers sortent du bâtiment pour juste traverser la rue et rejoindre leur classe et les 350 enfants qui suivent leur scolarité à l'école Saint François. Un seul ne porte pas ces couleurs (en dehors des plus grands qui vont au collège de l'autre côté du village), mon copain Dinol, qui préfère s'occuper de son cochon, de ce qu'il a planté ou de son four à pain voire de m'acheter des chadecs au marché que de faire des additions. Il se retrouve en troisième année (CE2) à 13 ans certes avec 7/10 de moyenne, mais les bases ne sont toujours pas là... Flora l'a mis dans une autre école parce que surtout, dans son école on ne redouble pas trois fois et que Dinol ne travaille pas et,... Enfin, pas tout seul, parce que quelques fois, et de temps à autre, je lui fais faire des additions et le fait lire. Et puis il aime bien, mais seulement quand on est tous les deux... Dès qu'il y a quelqu'un d'autre, c'est terminé. C'est un peu comme avec les autres quand je m'occupe personnellement d'eux, mais il aime bien travailler quand on est quatre ou cinq devant ma chambre. Je crois qu'on pourrait faire des sciences politiques sur l'extrême orient qu'ils seraient tout aussi intéressés…

Bref, tout ça pour dire que Dinol part seul avec son bermuda gris et sa chemise bleu à demi sortie de la ceinture vers son école dans le haut du village. Il ne se sent pas victime de discrimination. Il a le sourire. Il s'en fiche un peu je crois…

Il est temps pour moi de prendre mon petit déjeuner : un plat de pâte, de riz-fève,de manioc- patates douces ou une bouillie de maïs et avoine accompagnée de pain (plus rare) avec un café sucré. Ceux qui connaissent mes habitudes alimentaires savent que tout cela en est très loin. Mais ça n'a pas d'importance. Au moins, j'ai mon chadec que les mômes n'ont pas souvent (quelque fois quand Dinol tombe sur une source, il en prend beaucoup pour ses copains et copines). Les petits et les handicapés viennent de manger (là aussi je donne un coup de mains aux encadrants). Il m'arrive alors de croiser Sœur Flora déjà affairée depuis 4 heures du matin (messe comprise, c'est son chi kong à elle…). A cette heure là, elle est infirmière (sa formation d'origine) pour les enfants. Elle dirige les soins suivie de Belair et Stevenson. Je les laisse à leur belle occupation pour me rediriger - non sans avoir été attaqué gentiment par quelques petites mains s'accrochant à mes jambes ou réclamant un petit tour dans mes bras - vers le pavillon des volontaires.

Ici m'attend ma brosse à dents mais surtout les chambres 6 et 7 dans lesquelles trônent de nombreux cartons bourrés de vêtements, de jouets ou de fournitures de toutes sortes. Trois jours pour y voir clair dans le triage et commencer à reranger. C'est incroyable ce que l'on peut envoyer « aux pauvres » de nos beaux pays industrialisés. Bel exemple, encore une fois de l'abondance irréfléchie dans laquelle notre société vit et de la non responsabilisation de ceux qui envoient (vous croyez que ça sert des polaires et des bonnets ici ? Et je ne parle pas des jouets qui ne fonctionnent qu'à piles... alors que les poubelles sont dans la rue pratiquement…). Ça donne bonne conscience à pas cher… Aller, il y a aussi des jolies robes qui rendront Claudanise et Valentine très heureuses, des jeans qui feront rêver Raymond et Tifrance, des casquettes qui feront baver tous les garçons… Reste que devant les tas d'habits qui augmentent devant moi, je me demande comment   je vais pouvoir libérer tout cela d'ici la fin de la semaine pour laisser la chambre 7 à Sœur Huguette (la « cheffe «  de Flora arrivée lundi du Québec). J'aime aussi à cet heure ci, me plonger dans la confection de la plaquette pour l'orphelinat ou de la maquette du petit journal que Flora voudrait envoyer à tous ces gentils donateurs, au Québec, en France ou aux Etats-Unis.

Vers 10h30 (l'heure est aléatoire n'ayant pas de montre, à moins que Etienne et Ezéquel profite de la récréation pour venir me faire un petit coucou, auquel cas, je connais l'heure…), je fais ma petite pause orange avant de remonter au lieu de vie. A cette heure-ci, les soins sont terminés, les plus grands sont à l'école et les petits sont quelquefois occupés à des jeux par un encadrant (mais c'est très rare…). Le lieu est calme et c'est idéal pour faire les massages. Quelquefois Stevenson m'accompagne, quelquefois non. Quoiqu'il en soit, il s'agit d'être entièrement concentré sur ma tâche afin qu'elle soit la plus efficace possible.

Pied droit, dépliage des doigts de pieds complètement recroquevillés sur eux-mêmes, doucement et en aller et retour, la cheville raide dans sa position rentrante pour le pied. Là encore on fait bouger doucement mais en forçant un peu. Les genoux avec déploiement de la jambe quand je le peux. La jambe gauche puis le bassin où j'essaye d'écarter au plus les cuisses vers l'extérieur. Je refais les mêmes mouvements avec les membres supérieurs. Le « massage » se termine en tirant sur l'arrière du crâne pour libérer et activer toutes les petites glandes qu'il y a à cet endroit.

Les réactions sont toujours étonnantes même si je m'y habitue. A l'étonnement et à la peur des premières séances a succédé un sourire dès que je pose la main sur le pied. Souvent, je parle pour encourager. J'essaye de suivre les réactions. De plus en plus, les corps se détendent très vite et l'on progresse dans les mouvements, en allant toujours plus loin. Quand cela force, je préviens, j'encourage, le visage se crispe un peu, se concentre sur la future douleur puis se relâche quand le mouvement est terminé. J'aimerai bien connaître leur ressenti réel. A voir les visages détendus après chaque séance, ce doit être vraiment très bon. J'avoue avoir eu un peu de mal au début mais en me rendant compte de l'effet de ces petits mouvements, mon dégoût, mes peurs de je ne sais quoi, ont disparu. Je sais que c'est du bon que je donne… Généralement, je m'occupe de cinq ou six handicapés par matin. Après m'être débarrassé de mes gants et lavé les bras, je retourne au pavillon pour souffler un peu – la chose est éprouvante…- et lire éventuellement un petit peu.

Je retrouve vite le lieu de vie à l'heure de la sortie de l'école. Les visages sont souriants. La matinée s'est bien passée. Certains viennent me faire une petite bise ou me présentent déjà leurs devoirs pour le lendemain pour un petit coup de mains. Etienne est un habitué de la chose. Sachant que ça n'allait pas bien du tout, je le lui ai proposé et il avait accepté. Mais, il était déjà trop tard. Flora a décidé de le faire passé dans la classe d'en dessous. Alors, on reprend les bases avec Etienne. Je reparlerai certainement plus tard de la pédagogie ici - qui n'est pas si loin de la notre, il y a quelques années. Dire qu'elle n'est pas du tout adapté à des p'tits gars, qui aiment regarder les feuilles des cocotiers par la fenêtre, comme Etienne, Ezéquel ou Dinol, est un euphémisme. Pour peu qu'elle le soit pour les autres enfants…

Le repas est servi mais pas à ceux qui étaient à l'école qui ont eu de quoi se sustenter à la récréation pendant laquelle est servi une grosse assiette de riz-fève à tous les élèves. Ce repas représente souvent le seul vraiment consistant de la journée pour nombre d'élèves.

Après avoir fait manger les handicapés, nous allons nous-même manger, Belair, Stevenson et moi. Michel s'est absenté pour aller à Port au Prince et Flora jeune le midi pendant le carême. Sans être vraiment convivial, ce moment permet de rigoler pas mal et de faire mieux connaissance avec les deux infirmiers. Le second vient de Port au Prince et s'est engagé volontairement auprès de Flora. Après le repas, toujours composé de féculents et d'un peu de crudité voire de poisson pour moi, mais que je partage, je fais une sieste rapide mais indispensable.

La semaine dernière, les après midi étaient partagées entre la distribution de nouveaux habits pour les enfants de l'orphelinat, les devoirs et quelques jeux. Avec eux, c'était amusant. Je jouais au marchand et ils jouaient aux clients comme dans un vrai magasin. A la fin, ils me regardaient bizarrement, ne sachant s'il fallait me croire, quand je leur disais combien il fallait payer… Et ça se terminait dans un grand éclat de rire. Mais ils étaient tous très fier de repartir avec leur petit sac en plastique plein de vêtements neufs. Ça n'arrive pas tous les jours…

En même temps que tout ça, j'essaye de trouver des activités à peu près intelligentes pour les cinq ados. Ensemble, je leur ai fait décidé de nettoyer le terrain de toutes ses immondices en mettant en place des poubelles. Les cinq garçons seront responsable de la propreté du terrain et devront demander aux petits et aux adultes de jeter leurs déchets dans les poubelles. Ça nous parait simple et évident mais Michel avait essayé il y a quelques années de manière un peu différente et l'expérience avait échoué. Ce n'est pas encore bien engagé. On verra bien. Si je n'essaye pas…

Quand le soleil baisse en fin d'après midi, j'essaye de monter à la citadelle, le sommet du morne derrière l'orphelinat, soit seul pour méditer, soit avec des enfants pour regarder comment leur île est belle. Je reviens souvent regonfler de là-haut. La mer au loin, le grand air, le marigot au fond, les champs, les mangots, les autres mornes… C'est bon d'être ici.

Quand la nuit tombe, en l'absence des chants de Michel sous les étoiles, je joue avec les enfants en attendant le dîner après une bonne douche rassérénante. Dîner pour les enfants. Suivis du dîner pour nous. La cloche sonne. Les jeux s'arrêtent. C'est la prière pour les enfants quelques fois avec Flora, quelque fois sans. Ils sont tous en rond, chantent et remercient pour cette belle journée. Les discussions du dîner ne nous mène rarement après 8h30. Là j'ai plaisir à retrouver ma chambre où après mes petites ablutions, je me plonge dans un livre puis rapidement dans les bras de Morphée, heureux d'être là…

C'était un lundi…

A tout à l'heure

 

PS : Vendredi midi, une petite fille de quelques mois est morte sur le chemin de l'hôpital. Sa maman l'avait laissé dans le lieu de vie quelques jours avant. Peut-être qu'en prenant conscience de cet abandon, de cette vie qui s'offrait à elle avec un manque énorme et peu de perspective réjouissante, elle a préféré aller voir ailleurs…

PS 2 : Dimanche dernier, j'ai commencé à avoir quelques courbatures. C'était reparti. Le paludisme venait me rendre visite pour la troisième fois depuis un peu plus de trois mois. Trois jours cloué au lit avec les enfants qui me sollicitaient quand même. Quel bonheur quand je me suis de nouveaux senti en pleine forme vendredi matin. J'avoue que je me suis senti très privilégié mais surtout venant d'une autre planète quand j'ai présenté mon traitement à 43 euros pour trois jours à Flora qui m'a juste répondu qu'ici, elle aimerait bien traiter à la Nivaquine parce que la Chloridrine ( ?) fait de moins en moins effet…

2 Comments:

  • Pat je suis effaré, d'abord tu choisis des mots pas dans notre vocabulaire:Chadec! si encore tu disais citrus maxima ou simplement pamplemousse...
    Ensuite tu pratiques et enseignes le capitalisme libéral escrot (on a bien compris que tu revendais les vêtements aux gamins pour te payer des pamplemousses et ta nivaquine) sans compter les échanges au noir pour avoir une cour de serviteurs qui font le ménage de ton terrain et te massent, si j'ai bien compris...!

    By Anonymous Anonyme, at 06:22  

  • Interesting to know.

    By Anonymous Anonyme, at 09:33  

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